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La cause des hommes


La cause des hommes
© Hannah Assouline

La femme est l’égale de l’homme, c’est entendu ! Mais la révolution culturelle en cours vise à faire de ce dernier un simple producteur de gamètes et plus encore, le coupable de tous les maux de la société en général et des femmes en particulier. Il est urgent de défendre la gent masculine. Ce sera l’objet de cette chronique qu’on retrouvera chaque mois.


Le 17 mars 2022, lors de la présentation de son programme, Emmanuel Macron a promis de faire à nouveau des droits des femmes la grande cause de son mandat s’il était réélu. Le mouvement mis en branle lors de son premier quinquennat devrait même s’amplifier. Il a raison. En revanche, la situation des hommes n’incite à engager aucun programme spécifique. Personne ne pense qu’eux aussi, en particulier les jeunes hommes, pourraient faire l’objet d’une cause prioritaire. Pourtant, leur sort exige qu’on se préoccupe d’eux, et en urgence.

Défendre la cause des hommes ne signifie absolument pas refuser aux femmes le statut qu’elles ont conquis. Il ne s’agit pas de léser leurs droits légitimes, mais de vouloir rétablir, quoique sans nourrir la moindre illusion– le courant en faveur des femmes est actuellement trop puissant –, un minimum d’équilibre, d’équité et de lucidité dans la façon d’aborder ce dont il est ici question : le devenir des hommes dans une société qui, jour après jour, s’efforce d’invalider leurs pouvoirs, d’atrophier leurs fonctions, d’assécher leur valeur, d’affaiblir leur image, éventuellement de déconstruire ce qu’ils sont, voire de ruiner la raison même de leur présence sur terre.

Nous sommes arrivés à ce point, inimaginable voilà encore une dizaine d’années, où les hommes, dans la société française et européenne, sont considérés comme des obstacles inadmissibles à l’avènement historiquement fatal d’une égalité parfaite entre les sexes. Une ère nouvelle où les hommes, s’ils sont conscients de l’énormité des fautes qu’on leur impute, de l’écrasante charge de torts qu’on leur fait porter, du crime impardonnable de la domination sans partage et des privilèges exorbitants dont on les accuse, peuvent se demander s’ils sont encore utiles au monde tel qu’il advient, s’ils sont encore désirés, ou simplement désirables. De surcroît, ces fautes, cette charge, ce crime, ils ont à les assumer en toute culpabilité par eux-mêmes reconnue, sans prétendre à l’audace de protester même du bout des lèvres sous peine d’une réprobation offusquée, accompagnée, à l’occasion, d’un tombereau d’injures.

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En fait, il est presque impossible à un homme qui veut plaider la cause du genre masculin de faire entendre sa voix. Non qu’on le contraigne au silence par la force des lois ou une omerta ouvertement imposée, car il est encore permis à un homme de publier livres et articles, sans compter les blogs, pour exposer des arguments favorables à son sexe. La difficulté qu’il rencontre est de trouver des yeux pour le lire et des oreilles pour l’écouter. Une femme qui prend, avec un réel courage, la décision de soutenir la cause des hommes bénéficie de la légitimité nécessaire pour que sa parole résonne non pas efficacement, le courant emporte ses arguments vers l’aval et l’oubli, mais librement dans la sphère médiatique, celle, du moins, qui se risque à l’accueillir. La parole masculine ne bénéficie qu’à la marge de cette attention déjà restreinte. On la tient globalement pour nulle et non avenue. Elle suit la pente qui conduit le devenir des hommes vers un destin tout tracé. Celui d’un géniteur remplaçable par les techniques d’insémination artificielle, de soutien de famille si personne d’autre ne se présente, de collaborateur doté au mieux d’un strapontin dans l’éducation des enfants, de personnage encombrant, subalterne et douteux, suspect par nature de malfaisances et d’abus. Bref, le destin d’un parasite potentiellement nuisible.

À vrai dire, plaider la cause des hommes est une gageure. Il faut affronter la certitude d’être abreuvé de noms d’oiseau. Réaction quasi pavlovienne qui, en soi, interroge forcément, attestant que le terrain est assez miné pour que la révolution féministe déclenche aujourd’hui des tirs de barrage dès qu’on la soumet à examen, non par hostilité, mais par esprit démocratique. Révolution, pas simple évolution. Une transformation radicale dont la survenue paraît couler de source, fondée sur des concepts perçus comme des vérités enfin révélées et à ce titre absolues. Tel est le caractère religieux de l’idéologie qui, se donnant pour évangile irrécusable, inspire et impulse l’irrésistible développement de cette révolution revêtue de la modernité la plus résolument moderne. Ainsi le patriarcat, dénoncé en tant qu’origine matricielle de l’inégalité entre les sexes et jeté en vrac dans l’arène publique, témoigne de l’irréflexion sous laquelle perce le refus d’analyser le fondement théorique de la croyance à l’œuvre, dont ce refus même confirme la dimension religieuse. Ce n’est pas insinuer que le patriarcat mérite absolution, mais que le supposer intégralement toxique par définition et principal ennemi de la civilisation qui émerge, a fortiori si on le requalifie en « hétéro-patriarcat », ne sert à rien sinon à éviter de le questionner à seule fin d’ériger un dogme qui ne soit justiciable d’aucune contestation. Ainsi naissent et s’épanouissent les articles de foi dont, sous leurs dehors avenants, se nourrissent les idéologies politiques moulées dans la fonte.

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Le danger de tels « progrès » tient à ce qu’ils avancent à l’aveugle, sans se soucier des désastres qu’ils provoquent. Entre les lendemains radieux du communisme et les conquêtes aryennes de l’espace vital, le siècle précédent en a fourni assez d’exemples pour qu’on rejette l’adhésion automatique aux progrès proclamés vertueux. Certes, l’Europe moderne exclut catégoriquement de recourir aux grossiers moyens tyranniques pour atteindre les buts moraux qu’elle s’assigne. Elle opère tout au contraire : elle vise par une pratique strictement légale et ostensiblement inclusive à obtenir une égalité parfaite entre les femmes et les hommes, et, au-delà, entre tous les membres de la société qu’elle rassemble. Objectifs nobles, mais problématiques. C’est ainsi, sous une allure comme toujours vertueuse, que s’impose, après les deux types de révolution qui ont ensanglanté le XXe siècle, la troisième révolution, lente, tempérée, presque insensible, à laquelle nous assistons : une révolution des mœurs inéquitable et indifférente à ses failles sous couvert d’égalité.

Plaider la cause des hommes consiste alors à examiner objectivement ce qu’il en est du devenir des hommes, cet angle mort d’une transformation radicale dont les contrecoups immédiats sont méconnus et les conséquences futures inconnues.

Une chronique mensuelle ne saurait, bien sûr, épuiser le sujet. Mais inciter à s’interroger sur la place des hommes dans la société émergente, ouvrir des chemins pour analyser les questions qui se lèvent, représente une tâche qu’une chronique peut accomplir, et certainement un devoir politique à remplir.

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Été 2022 – Causeur #103

Article extrait du Magazine Causeur




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Universitaire, romancier et essayiste

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