Il faut bien le reconnaître, j’ai beaucoup de mal à sacrifier aux rites de notre époque. Par exemple, à l’instar de Marc Cohen et d’Eric Zemmour, j’ai du mal à m’habituer aux différentes repentances et à m’accuser, ainsi que les miens, de toutes les phobies possibles et imaginables.
Déballer mon intimité à tous les passants et faire un coming-out comme le premier député UMP venu ne font pas partie de mon éducation ô combien réactionnaire[1. Je me souviens d’un oncle libertaire qui m’avait expliqué que je n’avais pas été éduqué mais dressé. Un peu comme un berger allemand… Tonton devait être libertaire et aussi légèrement germano-canino-phobe.].
Mais pour fêter Saint-Nicolas[2. Je parle évidemment du monsieur barbu qui apporte du chocolat. Ni du président que j’ai déjà assez éreinté la semaine dernière. Ni de mon candidat préféré, qui à d’autres chats à fouetter et de parrainages à récolter.], j’ai décidé de faire d’une pierre deux coups. Je vais, devant vous, effectuer un coming-out phobique.
Chers amis et lecteurs, depuis ma pré-adolescence, je suis touché par une phobie moins rare qu’elle n’y paraît[3. L’an dernier, un collègue et néanmoins ami m’a même avoué posséder la même tare.], surtout chez ceux qui vivent ou ont vécu à la campagne. Je suis busophobe. J’ai décidé de le confesser en public grâce à ce billet d’humeur.
Vous me rétorquerez que ma notoriété reste insuffisante pour que l’AFP fasse de ma busophobie le sujet d’une dépêche. Et vous aurez raison. Mais une bonne partie des miens connaît ma phobie. A tel point qu’à mes quarante ans, ma famille m’a offert une buse empaillée de toute beauté, non sans avoir vérifié auprès d’un cardiologue si je ne risquais pas d’y passer en ouvrant le paquet.
Croyez bien que je suis conscient de la honte qui me frappe. Une buse, après tout, n’a jamais bouffé autre chose que des animaux bien plus petits que moi. Mais c’est plus fort que moi. Puisqu’on est dans le coming-out phobique, allons-y carrément : avouons la raison de cette montée d’adrénaline à la vue d’une buse sagement posée sur un piquet alors que j’effectue une promenade à vélo[4. En voiture, j’ai moins peur. Je me sens protégé. Évidemment, avec une décapotable, le problème se poserait autrement… ].
Laissez-moi vous expliquer l’origine de cette peur panique. Je devais avoir une dizaine d’années lorsque j’ai croisé le regard d’une buse qui venait de se faire truffer de plombs à grive. Elle était debout sur ses pattes, avait déployé ses ailes de toute son envergure, et m’a fixé avec ses petits yeux perçants.
Dernière chose : je tiens à présenter mes excuses aux amis qui trouveront que cette impudeur ne me ressemble guère. Ils doivent comprendre qu’aller à contre-courant de son époque devient parfois épuisant. Et, après tout, puisque je viens d’avouer ma faute, Alain Juppé ou Cécile Duflot viendront peut-être témoigner en ma faveur et alors échapperai-je à l’enfermement dans la fameuse cage aux phobes que Philippe Muray avait naguère décrit.
Ou pas.
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