Le gommage de la croix qui surmonte Notre-Dame-de-la-Garde, à Marseille, sur les cartes de vœux de la mairie, a fait sortir de ses gonds l’opposition de droite. Peut-être peut-on penser un peu plus loin que Valérie Boyer.
La Mairie de Marseille (chaque fois que j’écris ces mots, je pense à tous les cocus qui ont voté Rubirola et se retrouvent avec Benoît Payan — et qui n’ont même pas protesté) a donc envoyé sa carte de vœux aux élus, et, à travers eux, à ses administrés. Ils y ont représenté Notre-Dame-de-la-Garde : des élus de droite (forcément, ceux de gauche ignorent la différence entre une croix et un croissant) se sont émus de la disparition de la croix qui surmonte effectivement l’édifice. Valérie Boyer, la sénatrice LR qui n’est entrée en politique, de son propre aveu, que parce que « Jean-Claude » avait besoin d’un quota de femmes, a vigoureusement protesté. Elle n’aurait pas dû, l’image avait été mise au point sous la direction de Gaudin il y a déjà plusieurs années.
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Passons sur le fait que ce grattage viserait à ne pas heurter les 350 000 musulmans de la ville — qui n’ont d’ailleurs rien demandé, vous pensez, ils se gardent bien de protester contre les signes religieux ostentatoires… Tout comme ils n’avaient pas demandé, il y a plusieurs années déjà, la suppression de la splendide crèche installée dans le Palais de la Bourse, au bas de la Canebière — suppression explicitement ordonnée pour ne pas choquer « ceux de nos concitoyens qui ne croient pas en Jésus », avait dit ce cul-béni de Gaudin. Il faut être singulièrement inculte — et je sais à quoi m’en tenir sur Gaudin, petit prof d’Histoire qui, me faisant visiter le Sénat il y a quelques années avec un groupe d’étudiants, confondait Catherine et Marie de Médicis — pour ignorer qu’une crèche n’est qu’accessoirement la célébration de la naissance du Christ : c’est essentiellement le répertoire des petits métiers d’une ville ou d’une région, une représentation du peuple née dans des époques où pour la Cour, les manants n’existaient pas. La crèche provençale rejoint en cela la crèche napolitaine. Et celle de la Bourse mettait en scène des santons jouant aux cartes comme dans le film de Pagnol. Se servir du paravent de la loi de 1905 (et plus laïc que moi, tu meurs) pour justifier l’effacement du petit peuple marseillais (qui dans les faits est lentement grignoté par l’étranger) participe d’une hypocrisie sans limite.
Je crois en fait que la suppression de la croix sur l’édifice emblématique de la ville participe du courant politiquement correct qui, il y a quelques années, avait poussé La Poste à supprimer la cigarette du bec de Jacques Prévert, sur une série de timbres-poste, afin de se conformer à la loi Evin. On rase tout ce qui témoigne d’une originalité, d’une mémoire, d’un destin — tout comme on a imprimé sur les billets en euros des monuments sans âme, pour ne pas flatter tel ou tel pays et surtout pour en finir avec le nationalisme des représentations. Ici, on liquide le christianisme — 2000 ans de civilisation, quand même — moins pour faire plaisir à ceux qui ne partagent pas cette foi que pour éradiquer globalement la mémoire : du passé faisons table rase, dit l’homme européen nouveau. Je vous rappelle — j’en ai parlé cet été — que les programmes scolaires ont réduit l’enseignement de l’Histoire à des aperçus impressionnistes dont les élèves ne peuvent rien retirer de solide ni de continu. Gommer une croix — comme sur ces photos trafiquées que diffusait le Kremlin dans les grandes années, quand on éliminait de la photo-souvenir tous les apparatchiks exécutés entre-temps —, c’est effacer 2000 ans de civilisation afin de mettre en place un homme nouveau, ubérisé jusqu’au trognon, consommateur effaré et sans mémoire.
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Je ne crois en rien, mais j’ai le plus grand respect pour Noël ou pour Pâques. Sollicité par un aumônier militaire pour écrire quelque chose sur le thème pendant qu’il était prisonnier après la « drôle de guerre », Jean-Paul Sartre, athée convaincu, s’était fendu d’un texte admirable que j’aimerais partager avec vous :
« Vous avez le droit d’exiger qu’on vous montre la Crèche. La voici. Voici la Vierge, voici Joseph et voici l’Enfant Jésus. L’artiste a mis tout son amour dans ce dessin, vous le trouverez peut-être naïf, mais écoutez. Vous n’avez qu’à fermer les yeux pour m’entendre et je vous dirai comment je les vois au-dedans de moi… lire la suite.
Joyeux Noël — tant que la Commission européenne nous autorise encore à l’écrire — et bonne fin d’année à tous…
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