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La boîte du bouquiniste

« Le Sucre », de Georges Conchon, 1978


La boîte du bouquiniste
Georges Conchon. DR.

Les bouquinistes virés des quais de Seine par la Ville de Paris ont trouvé refuge à Causeur. Jusqu’à la fin des JO, la rédaction vous ouvre leur boîte à vieux livres.


Georges Conchon (1925-1990) n’avait pas la tête de l’emploi. Ne vous fiez pas à son faux air de Philippe Castelli et à son emploi hautement symbolique de secrétaire des débats au Sénat. Ce fonctionnaire d’élite, proche de Michel Rocard, ancien condisciple de Giscard, ami de Jean Carmet et de Gérard Depardieu, aimait pointer la rapacité des hommes. Le système ne lui résistait pas, il le décortiquait et le dépeçait avec une voracité jouissive, qu’il s’attaque à la décolonisation ou à la dinguerie des marchés financiers, son réquisitoire drôle est toujours férocement d’actualité. Sous cette figure placide, vaguement ennuyeuse, la pipe inamovible, se cachaient un pamphlétaire rigolard, un écrivain révolté en costume trois-pièces et un habitué des listes des meilleures ventes. Conchon, aujourd’hui honteusement oublié, a été honoré tout au long de sa carrière. Dès 1956, il a reçu le prix Fénéon pour Les Honneurs de la guerre, puis, en 1960, le prix des Libraires pour La Corrida de la victoire, et il décrocha même le prix Goncourt en 1964 pour L’État sauvage.

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Il était invité à la table de Pivot le vendredi soir et les films adaptés ou non de ses romans connurent des succès au box-office. Il a notamment écrit Sept morts sur ordonnance pour Jacques Rouffio et La Victoire en chantant pour Jean-Jacques Annaud, Oscar du meilleur film étranger en 1977. Un an plus tard, en 1978, il s’intéresse à une « vieille » affaire de 1974 où 66 milliards se sont évaporés dans la nature. Pour tout le monde ? « Il en fut très peu parlé. Même dans Le Monde, dont ce serait pourtant assez le genre. Un moment on a pu croire qu’ils allaient lever un coin du voile, au Monde, mais ils l’ont vite lâché. Closed, tout de suite. Occulted ! » écrit-il au début de ce roman sobrement intitulé Le Sucre et illustré par Ferracci, l’affichiste star des seventies, qui a paru aux éditions Albin Michel.

De quoi s’agit-il ? Du marché à terme des marchandises qui fait grimper artificiellement le prix du sucre, de la faillite des boursicoteurs, de la gabegie des grandes institutions et du silence complice de l’État. Le sujet est complexe, vitreux, inflammable, même son héros malheureux, Adrien Courtois, inspecteur des impôts tentant de faire fructifier l’héritage de son épouse, pharmacienne à Carpentras, n’y comprend plus rien.« Mais le principe du marché à terme, son charme, sa glorieuse incertitude, c’est justement la spéculation sur l’imprévisible », avance l’auteur, un brin goguenard. Conchon, c’est Albert Londres chez les Pieds nickelés, la rigueur d’une enquête journalistique à l’américaine avec ce style rapide, haché, tendu et un côté bistrotier, la vanne fuse sur le zinc. Dans ce roman de 1978 qui précède le film de Rouffio, on admire surtout son art du portait, toute cette faune sauvage, remisiers, commissionnaires, banquiers, hautsfonctionnaires qui court après « un petit sou » de plus. Et puis, il y a Raoul d’Homécourt dela Vibraye, incarné par Depardieu, qui explique àAdrien Courtois les mécanismes naturels de la déroute : « Fais donc pas cette tête ! T’es pas le premier, tu seras pas le dernier. Y a pas d’exemple, pas un seul exemple, tu m’entends, d’un petit spéculateur qui y ait pas laissé sa chemise. Depuis que le Marché est Marché, ça devrait se savoir, et ÇA SE SAIT PAS !… »

Georges Conchon, Le Sucre, Albin Michel, 1978.

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Janvier 2024 – Causeur #119

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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