Quatrième opéra de Puccini après La Willi, Edgar et Manon Lescaut, La Bohème, tiré des Scènes de la vie de Bohème, feuilleton publié dans la revue de Gérard de Nerval par Henri Murger, au mitan du XIXème siècle, et dont ce dernier tirera d’abord une pièce de théâtre, puis un roman, n’a pas attendu longtemps pour devenir un must de la scène lyrique. Crée à Turin en 1896, avec au pupitre le génial Toscanini, alors à peine âgé de 29 ans – éclipsant, au passage, l’autre Bohème du moment, signée Leoncavallo – l’œuvre est donnée presque immédiatement sur toutes les scènes du monde : en moins de trois ans, l’opéra triomphe à Naples, Bologne, Lisbonne, Moscou, Alexandrie, Londres, Berlin, New-York… En 1900, ce sera Tosca, autre merveille du compositeur turinois.
En 2017, la mise en scène de Claus Guth à l’Opéra-Bastille avait suscité des remous dans la salle, d’autant moins mérités que la direction d’orchestre du Vénézuélien Gustavo Dudamel, alors tout juste arrivé dans la maison parisienne dont il est aujourd’hui le chef attitré, magnifiait quoiqu’il en soit cette sublime partition. La reprise annoncée du spectacle, en 2020, fut immolée sur l’autel de la pandémie : toutes les représentations annulées.
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C’est donc cette production qui est à l’affiche ce printemps, dans une nouvelle distribution de haut vol – le transalpin Michele Mariotti à la baguette qui, la faute encore au Covid, n’a dirigé Aïda, en 2021, que l’espace de deux soirées ! Il ne nous restait qu’à espérer que l’épidémie de grève ne prît en 2023 la relève de l’infection virale. Mais tout s’est bien passé : pour une fois indulgente au libre essor des Muses, le charivari des retraites n’a pas bousculé la première, au lendemain d’un… Premier mai particulièrement poilant, on l’a vu.
Le Quartier Latin, où se noue l’idylle hivernale entre le poète Rodolfo et la pauvre Mimi, au temps défunt du Paris insouciant, n’est plus, en 2023, que l’ombre de lui-même. Le Paris frivole et fauché où festoyait la jeune bohème romantique, incarnée ici par les amis Marcello, Schaunard et Colline, n’existe plus depuis belle lurette. L’ambiance surchauffée du « Café Momus » puccinien a disparu du paysage. Aussi bien l’idée du metteur en scène Claus Guth : transporter les protagonistes de La Bohème à bord d’une navette spatiale en perdition dans l’espace, astronautes épuisés revivant nostalgiquement leur jeunesse quand l’oxygène leur vient à manquer, voilà qui n’est pas totalement absurde. Cette odyssée terminale en apesanteur suscite un plateau de toute beauté, dans chacun des quatre tableaux de l’opéra. Dans le froid glacial du vide sidéral, le passé y est revécu sous forme d’hallucination, superposant, au compte à rebours de la fin prochaine, les physionomies spectrales de ces jeunesses perdues : Mimi, en simple robe unie de couleur rouge, Rodolfo en tenue de rapin élimée, Musetta en élégante courtisane…
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Sous les traits de Rodolfo se découvre surtout, à cette occasion, un ténor exceptionnel : l’Américain Joshua Guerrero, 40 ans, qui fait ici son entrée à l’Opéra de Paris, aussi sanglotant, subtil et ciselé dans les aigus que l’exige ce rôle infiniment délicat. La soprano Ailyn Pérez campe, quant à elle, une Mimi au timbre suave et coloré, d’un vibrato qu’on voudrait parfois plus serré. Interprétée par la toute jeune soprano slovaque Slavka Zamecnikova, Musetta est un ravissement de bout en bout. Tout comme le baryton Andrzej Filonczyk, magnifique Marcello. Au pupitre, le chef italien Michele Mariotti prend plus qu’honorablement la relève de l’immense Gustavo Dudamel.
C’est encore Claus Guth qui ouvrira la saison d’opéra, dès la mi-septembre, à la Bastille, dans la production de Don Giovanni qui, en 2008, fit l’événement au festival de Salzbourg.
Hasard du calendrier ? La Bohème sera encore donnée à Paris cette saison, pour cinq représentations seulement, du 15 au 24 juin au Théâtre des Champs-Elysées, co-production avec les opéras de Bordeaux, Angers, Nantes et Saint-Etienne. À la baguette, le jeune chef Lorenzo Viotti, et le patron de la Comédie française Eric Ruf à la régie. Costumes signés Christian Lacroix, la soprano Selene Zanetti dans le rôle de Mimi, et le ténor Pene Pati dans celui de Rodolfo… Il est à parier que le spectacle sera rutilant, mais aussi plus littéral. Sous le signe de l’opéra, toutes les planètes ne sont pas appelées à se rencontrer.
La Bohème. Opéra en quatre tableaux de Giacomo Puccini. Direction Michele Mariotti. Mise en scène Claus Guth. Avec Ailyn Pérez, Slavka Zamecnikova, Joshua Guerrero, Andrzej Filonczyk, Simone del Savio… Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Opéra Bastille, les 5, 8, 11, 17, 20, 23, 26, 30 mai, 1er juin à 19h30 ; les 14 mai et 4 juin à 14h30. Durée : 2h30, entracte inclus.
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