Puccini est gâté, cette année. Mais rassurez-vous, au bon sens du terme : faisant suite à sa reprise en mai dernier sur le plateau de l’Opéra-Bastille, dans la mise en scène de Claus Guth avec la divine Ailyn Pérez dans le rôle-titre, le célèbre drame lyrique tiré des Scènes de la vie de bohème d’Henry Murger nous revient à Paris, pour cinq représentations, dans le sublime écrin du Théâtre des Champs-Elysées. Nouveau spectacle, donc, dont l’acteur et « patron » actuel du « Français », Eric Ruf, signe la régie.
Aux antipodes de la stimulante radicalité stylistique d’un Claus Guth choisissant, on s’en souvient, de transposer les quatre « tableaux » du chef-d’œuvre puccinien dans l’interstellar sidéral d’une capsule spatiale en perdition où le manque d’oxygène s’avèrera fatal à l’équipage d’astronautes sur le retour d’âge, nostalgiques de leur jeunesse, Eric Ruf engage plus sagement Mimi et Rodolphe, Marcel et Musette, Colline et Schaunard dans le décor plus littéral, sinon tout à fait réaliste, d’un Quartier latin ancré dans le XIXème siècle. On y crève de froid, sous une neige qui tombe à petits flocons. Une copie de l’authentique ancien rideau de scène cramoisi du Théâtre des Champs-Elysées, supposément en train d’être peint, est le seuil d’un plateau stylisant de vieilles façades parisiennes bardées d’échafaudages. Sur cet arrière-plan grisâtre et décoloré, Christian Lacroix vient poser le subtil chromatisme de costumes d’époque savamment esthétisés, comme toujours, Mimi arborant une flamboyante, opulente robe écarlate qui tranche sur le camaïeu des autres tenues – hauts-de-forme, châles, tabliers aux tonalités vieux-rose, violet, bleu de prusse et j’en passe…
Contrairement à la salle de l’Opéra-Bastille dont la vastitude amortit souvent les sonorités, l’acoustique impeccable du Théâtre des Champs-Elysées fait alliance avec ses dimensions raisonnables, pour restituer dans toute leur amplitude les ressources d’un Orchestre National de France en l’occurrence admirablement charnu – tout à la fois précis, chatoyant et musclé : une fosse ovationnée à juste titre au tomber de rideau de la Première, ce 15 juin. Au pupitre, Lorenzo Passerini, chef lombard âgé de 31 ans à peine, fait merveille.
Côté chant, Pene Pati, natif de Polynésie, projetait quant à lui un souffle et une énergie surpuissants sur le rôle de Rodolfo (on va retrouver ce ténor d’exception le mois prochain au Festival d’Aix-en-Provence, dans l’emploi d’Edgard Ravenswood, (cf. Lucia de Lammermoor). La jeune soprano italienne Selene Zanetti campe, elle, une Mimi dont le timbre charpenté manque parfois de douceur et d’onctuosité. Une mention particulière doit être faite à l’excellent baryton-basse Guilhem Worms (Colline), dont la voix, à la clarté rafraîchissante, fait qu’on se réjouit par avance de l’entendre à Paris dès septembre prochain dans Don Giovanni, puis de nouveau, en novembre, encore à l’Opéra-Bastille, en mandarin dans la reprise de Turandot, sous les auspices de Robert Wilson. Citons, dans cette distribution hors pair, l’époustouflante Amina Edris (Musette). Elle a en outre enregistré le grand opéra de Meyerbeer Robert le Diable, en live, pour le Palazzetto Bru Zanne, cette prestigieuse institution basée à Venise, qui s’est donnée pour vocation de promouvoir la musique romantique française…
C’est ici l’occasion d’annoncer la 10ᵉ édition du Festival Palazzetto Bru Zane à Paris qui, du 19 juin au 4 juillet, répartit quatre spectacles très attendus entre le Théâtre des Champs-Elysées, précisément, et l’Auditorium de Radio France. Ouverture des festivités ce lundi, à la « Maison de la Radio », avec des « motets du Second Empire à la Troisième république » – de Fauré à Léo Delibes, en passant par Chausson, Chaminade ou Saint-Saëns. Apothéose de ce programme, l’opéra méconnu de l’immense Massenet, Grisélidis, resplendissant conte lyrique millésimé 1894, qui sera donné dans l’édifice conçu par Auguste Perret avenue Montaigne, le 4 juillet – unique représentation ! Toujours au Théâtre des Champs-Elysées, ce mardi, on pourra découvrir Fausto, opéra « semi seria » composé dans les années 1830 pour un rôle de femme travestie (si, si !) par notre compatriote Louise Bertin, sur un livret en italien. Last but not least, vendredi seront mises à l’honneur une brochette de compositrices romantiques, dans des partitions méconnues – la susnommée Louise Bertin, mais aussi Louise Farrenc, Augusta Holmès, Jeanne Danglas, Mel Bonis, Clémence De Grandval, Marie Jaël. Hervé Niquet à la baquette, David Kadouch au piano, et l’Orchestre de chambre de Paris, pour nous interpréter ces pièces d’une grande rareté. Après cela, qui pourra croire encore que la Femme est l’éternelle victime de l’Homme ?
La Bohème. Opéra de Giacomo Puccini. Théâtre des Champs-Elysées. Les 17, 19, 22, 24 juin à 19h30. Durée : 2h30 environ. Mise en scène et scénographie : Eric Ruf ; chorégraphie : Glysleïn Lefever ; costumes : Christian Lacroix. Direction : Lorenzo Passerini
Avec : Selene Zanetti (Mimi), Pene Pati (Rodolfo), Alexandre Duhamel (Marcello), Francesco Salvadori (Schaunard), Guilhem Worms (Colline), Amina Edris ( Musetta), Marc Labonnette, ( Alcindoro / Benoît), Rodolphe Briand (Parpignol)…
Orchestre National de France
Chœur Unikanti, Maîtrise des Hauts-de-Seine, direction Gaël Darchen
Opéra chanté en italien, surtitré en français et en anglais
Coproduction Théâtre des Champs-Elysées | Opéra National de Bordeaux | Angers-Nantes Opéra | Opéra de Saint-Etienne
A noter que le spectacle fait l’objet d’une captation réalisée par François Roussillon, et que l’opéra sera diffusé sur la chaîne You Tube du théâtre (TCE Live) et, le 2 septembre prochain, sur France Musique.
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Festival Palazetto Bru Zane Paris. Du 19 juin au 4 juillet.
Réservations : theatrechampselysees.fr et www.maisondelaradioetdelamusique.fr
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