Dans son nouveau livre, La bague au doigt, Eva Ionesco raconte sa passion destructrice avec Simon Liberati. L’ancienne reine de la nuit, réalisatrice, actrice et écrivain reconstitue le puzzle de sa vie mais continue de brouiller les pistes.
« Je sors du pressing, je n’ai pas mes lunettes, je vous rappelle », me dit Eva Ionesco au téléphone quand je lui propose un rendez-vous pour évoquer son nouveau livre, La bague au doigt. Elle se montre enthousiaste : « On peut se voir demain dans un café, si vous voulez.» La petite fille lâchée en pâture sous l’objectif de sa mère dès l’âge de cinq ans, déguisée en pin-up ou en princesse avant de devenir, dès ses treize ans, l’une des figures du Palace, la boîte de nuit culte des années 80, a finalement annulé notre rencontre, prétextant, dans un SMS très poliment formulé, une grande lassitude.
Je n’ai pas mis en doute cette lassitude. Eva Ionesco semble toujours en équilibre fragile, prête à basculer dans la fêlure béante qui la constitue. Son visage de poupée renfrognée me fascine. J’avais imaginé que nous causerions chiffons, car les vêtements semblent être primordiaux pour elle, ils l’aident à se protéger et à retenir cette petite fille que sa mère exhibait, attifée en héroïne de Lewis Caroll.
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Mais qui est Eva Ionesco ? Elle brouille les pistes : muse, reine de la nuit, réalisatrice (son film autobiographique, Little Princess, a reçu un très bon accueil), actrice, écrivain… Elle est tout cela à la fois, ce qui fait d’elle un personnage d’un autre temps, une figure romanesque à l’image de ces poétesses de la Belle Époque. Cependant, le statut de muse la rattrape lors sa rencontre avec l’écrivain Simon Liberati qui, malin comme un singe, voit en elle un formidable objet littéraire. L’histoire se mord la queue : Eva redevient objet, pour être aimée, évidement, car elle n’a jamais été enthousiasmée par ce projet. Elle sent que l’écrivain, à la personnalité un peu perverse, veut la vampiriser. Nul besoin de s’appeler Freud pour comprendre qu’elle rejoue son histoire avec sa mère. Eva est publié en 2015. J’ai essayé de le lire à l’époque, mais il m’est tombé des mains : Liberati décrit sa muse froidement, à la manière d’un entomologiste, sans chaleur ni amour.
Dans La bague au doigt, Eva Ionesco raconte cette passion destructrice avec Liberati, cette passion qui s’est terminée dans le sang et les larmes. Elle se réapproprie la femme qu’elle est dans un récit baroque, une sorte de cabinet de curiosités aux méandres parfois trop détaillés, au risque d’embrouiller le lecteur. Mais elle se décrit sans fard – elle qui ne peut sortir sans maquillage – en petite fille amoureuse qui perd souvent pied. Elle reconstitue au fil des pages le puzzle de sa vie afin d’en devenir enfin l’actrice, avec l’aide des mots, de ses mots.
La bague au doigt, de Eva Ionesco, Robert Laffont, 2023.