Ce gouvernement ne respecte rien. Même pas cet être sacré qu’est l’enfant, innocent y compris quand il est coupable – et qu’on ne m’enquiquine pas avec des saletés de psychanalyste. Non contente de traquer les étrangers au point de s’attaquer à leurs mômes, la République sarkozyste s’en prend maintenant aux nôtres. En quelques jours, les signes d’une volonté de réprimer dès le plus jeune âge se sont multipliés. Il y a quelques semaines, la réaction scandaleuse d’un instituteur avait montré que la tentation répressive gangrène l’institution scolaire elle-même. Menaçant sur le ton de la plaisanterie un élève de 9 ans qui avait l’habitude de « montrer son zizi » à ses camarades de « couper ce qui dépassait », ce tortionnaire a reçu son juste châtiment comme l’a fort bien narré l’ami David Desgouilles : 500 € d’amende et une privation de son droit d’enseigner. On espère que l’enfant traumatisé a pu reprendre son innocente activité, désormais fort de la certitude que, face aux adultes, prof ou gendarme, il est le plus fort. Quant aux gamins qui s’étaient offusqués de ses agissements auprès de l’instituteur, sans doute de la graine de fachos et de délateurs, voilà qui leur apprendra à être plus cool.
On espère bien que les deux policiers qui ont odieusement procédé à une rafle de deux gosses de dix ans pour une sombre histoire de bicyclette seront, eux aussi, durement sanctionnés. En attendant, toute leur classe a été confiée aux bons soins d’une cellule d’aide psychologique qui tentera de leur faire oublier ces heures les plus noires de leur enfance.
Comme d’habitude, pour justifier le tour de vis, on nous joue la vieille antienne de l’insécurité. Certains médias aux ordres en font des caisses. De malheureux tirs de kalachnikovs contre les flics à La Courneuve, et le chœur des vierges sécuritaires nous fait croire que c’est la guerre. Heureusement de grands esprits comme Laurent Mucchielli nous expliquent que cette violence est « un processus circulaire » dont « les jeunes et les policiers sont, tour à tour, les acteurs ». Que le meilleur gagne. Un prof poignardé dans un collège « sans histoires » ? Tout au plus un cas isolé dont il convient de ne pas exagérer la signification mais qui nourrit les fantasmes de quelques vieux apeurés, réacs égarés et sarkozystes en quête de voix lepénistes. Le sentiment d’insécurité continue à faire des ravages.
Peu importe donc que la violence soit devenue le quotidien de pas mal d’établissements, que les cas de profs agressés se multiplient, que la délinquance, la vraie, touche des mineurs de plus en plus jeunes et que des enfants parfois âgés de dix ans narguent en toute impunité – et souvent avec le soutien de leurs parents – les profs, les flics et les juges. Le scandale n’est pas que des parents soutiennent leurs rejetons contre les profs ensuite accusés de démission ni que des enseignants qui tentent (parfois maladroitement) d’exercer une autorité soient lâchés en rase campagne par leur hiérarchie. Il n’est pas non plus dans le fait que des armes puissent entrer à l’école, mais dans la méthode proposée par Xavier Darcos pour tenter de l’empêcher.
Bien au-delà des habituelles pleureuses des Inrocks et de Télérama, un tollé polyphonique a accueilli la proposition du ministre de l’Éducation de fouiller les cartables des élèves. « Remède pire que le mal », selon un responsable de la FCPE, « fausses réponses » à en croire le patron de la FSU, Gérard Aschieri, qui voit dans cette « cette gesticulation sécuritaire » le résultat « d’une atmosphère malsaine qui est en train de décrire l’école comme le lieu de tous les dangers, et les enfants comme des dangers potentiels ». Son de cloche identique chez les politiques jusque dans les rangs de la majorité. Jean-Christophe Cambadélis dénonce un « GIGN scolaire ». Même MAM fait la fine bouche, reconnaissant que tout ça va être un peu plus compliqué. La bonne blague. Alors que la réalité est si simple.
Bref, nous voilà menacés non pas par l’irruption de la délinquance et parfois du banditisme dans l’enceinte de l’institution scolaire, mais par la création d’une police des écoles. On verra sans doute sous peu la gauche réconciliée scander, la mine grave, dans les rues de Paris : « L’ordre règne à l’École ! » Et puis quoi encore ? À ce train-là, on nous expliquera sous peu que la loi doit s’appliquer aussi dans les salles de classes et les cours de récré. L’autorité, voilà l’ennemi !
D’accord, l’interpellation de deux minots pour un vol qu’ils n’avaient pas commis ressemble à un excès de zèle. Mais enfin, à qui va-t-on faire croire que des mômes abreuvés de télé plusieurs heures par jour, souvent confrontés, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’école, aux rackets, tournantes et autres joyeusetés, vont rester terrorisés à vie pour avoir passé deux heures dans un commissariat (au cours desquelles on espère qu’on leur a offert des carambars) ? Si les professionnels de l’indignation et de la compassion se souciaient réellement des séquelles, ils auraient minimisé l’incident sur le mode : « Ça vous fera un souvenir marrant et une histoire pour les copains. » Après tout, ils auront eu le quart d’heure de célébrité dont on rêve désormais dès le berceau et leur innocence a été rapidement reconnue, voilà qui devrait leur donner confiance dans la police de leur pays. Et puis merde, j’ose, en imaginant à l’avance le torrent qui va s’abattre sur moi : peut-être que cette mini-bavure aura dissuadé quelques futurs candidats au vol de vélo et autres biens matériels. Je suggère donc au jeune Hicham, à son cousin et à leurs familles de considérer cet épisode comme l’une des petites aventures qui font une existence, plutôt que comme la plus grande bavure policière depuis la mort de Malik Oussekine. Cette micro-affaire est peut-être regrettable, il n’y a pas de quoi en faire ces épais fromage.
De même, je ne sais pas si la méthode proposée par Xavier Darcos est techniquement la bonne. Mais quand j’ai entendu, vendredi matin sur France Inter, le sociologue de service affirmer très sérieusement que fouiller les cartables serait porter atteinte à l’intégrité des enfants (tandis que laisser certains agresser leurs profs ou leurs élèves ne porte atteinte qu’à l’intégrité des victimes, sans doute), je me suis demandé lequel des deux, lui ou moi, était complètement barré. Je le dis sans hésitation : c’est ce dealer de bonnes nouvelles qu’il faudrait enfermer, lui et toutes les belles âmes qui nous expliquent que, si on n’avait pas réduit le nombre de surveillants, on n’en serait pas là. Des pions contre des armes blanches. « Il faut rétablir l’autorité », a affirmé Marielle de Sarnez, la garde rapprochée de François Bayrou à elle toute seule[1. Il est vrai que Bayrou préfère, lui, l’éducation par la torgnole, surtout quand il y a des caméras, comme il en avait fait la démonstration au cours d’une visite dans le quartier de la Meinau à Strasbourg, pendant la campagne présidentielle de 2002, en administrant une baffe à un gamin qui tentait de lui faire les poches.]. Quelle heureuse découverte. Et comment donc ma bonne dame ? À force de compréhension, de bienveillance et de respect de l’intégrité ? En laissant seuls en première ligne des profs qu’on a consciencieusement dépouillés de tous les attributs symboliques de leur autorité ?
Réveillez-vous, les gars. Il est trop tard pour proclamer la sanctuarisation de l’École. Il fallait y penser avant, avant de laisser la doxa, la télé et toutes les doléances et dérèglements de la société l’envahir. On pouvait s’attendre à ce que la violence, la délinquance, l’incivilité s’engouffrent dans la brèche. Et il faudrait maintenant qu’on la sanctuarise pour la protéger de la Loi ? Oui, il faut protéger l’École, mais du crime, pas de la Loi.
Pendant que les marchands de rêve continuent à jurer que « le réel ne passera pas », une majorité silencieuse fait entendre une autre musique. Pendant que leurs « représentants » syndicaux font assaut de bons sentiments, des profs en ont marre d’aller faire cours la peur au ventre. L’une d’elle a publié un livre intitulé Ces profs qu’on assassine. Les gens qui sont allés voir La Journée de la jupe veulent d’abord qu’on arrête de leur raconter qu’ils ne vivent pas ce qu’ils vivent… Parce que ça, ça rend fou. C’est pour faire cesser ce déni de réel que beaucoup ont voté pour Nicolas Sarkozy. Qu’ils aient eu ou non raison de le faire est une autre histoire. Comme l’a justement relevé Frédéric Ploquin, ce qu’ils reprochent à Sarkozy, ce n’est pas d’avoir promis de nettoyer « les 4000 » au karcher, c’est d’avoir échoué à le faire.
La loi qui protège et la liberté qui opprime, vous en avez entendu causer, vous dont la bonne conscience n’a d’égale que l’aveuglement ? Oui, la plupart des braves gens veulent que force reste à la loi. Ils veulent que l’État se défende et que ceux qui lui font la guerre sachent qu’à la guerre on peut mourir. Oui, il faut que l’ordre règne à l’École. À toujours préférer le désordre à l’injustice, on finit toujours par avoir et le désordre et l’injustice.
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