En parcourant le Monde (le journal, pas l’infect cloaque grouillant autour du périphérique parisien), je suis tombée sur une nouvelle surprenante : le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale a trouvé le moyen de régler définitivement le cas « Lang ». Il ne lui enverra plus d’invitation aux réunions de groupe. Face à la perfidie languienne, Jean-Marc Ayrault invente la grève postale – mieux que la dépêche d’Ems. C’est ingénieux, bricolé et, pour tout dire, tellement français.
Etant de gauche – la gauche allemande, c’est vrai, mais la gauche quand même –, je me sens instinctivement emplie de compassion pour Jean-Marc Ayrault, François Hollande et l’ensemble des socialistes d’outre-Vosges[1. Que les ligues patriotiques veuillent bien patienter quelques instants avant de me tondre le crâne : si pour vous Français l’Allemagne c’est « l’outre-Rhin », pour nous autres Allemands, la France c’est « l’outre-Vosges » : allez savoir pourquoi.]. Leur parti est confronté à l’un des plus délicats problèmes politiques depuis le congrès de Tours et je me permets, d’une façon très amicale et désintéressée, de leur adresser quelques conseils.
Se débarrasser d’un Jack Lang n’est pas une chose aisée. Durant près de vingt ans, François Mitterrand a essayé. Il avait beau l’inviter à gravir chaque année la roche de Solutré, à l’entraîner au bord du précipice en lui glissant un anodin : « C’est pas Pascal Sevran là-bas ? », mais jamais il ne parvint à le pousser dans le vide.
Jaurès, lui-même, n’y était pas parvenu. Son idée de convier Jack Lang un soir de juillet 1914 à déguster des zakouskis frelatés au café du Croissant s’est révélée calamiteuse.
Le revolver, le fusil, le canon sont à proscrire formellement lorsque l’on veut se débarrasser d’un Lang. Je déconseillerais même à Ségolène Royal de tenter de le faire couler par l’un des 79 sous-marins nucléaires que compte la France. On se gardera d’utiliser des méthodes expéditives : le Jack Lang est une anguille qu’aucune nasse grossière ne peut contenir. On préférera, pour s’en débarrasser, des manières plus élégantes.
L’homme est avide d’honneurs. Il suffit, par exemple, de lui demander d’aller inaugurer la permanence du Parti socialiste à Loudun, rue Marie Besnard, avec grand discours et dégustation de soupe traditionnelle à l’issue.
Le convoquer rue de Solferino afin de lui apprendre que le bureau politique du Parti socialiste a décidé de le nommer Premier secrétaire et que la seule formalité à accomplir est de passer une visite médicale rue Lesueur, au cabinet du docteur Petiot, est un procédé assez détestable – et pour le moins inefficace tant que la solubilité du Jack Lang dans l’acide chlorhydrique n’aura pas été démontrée par la Faculté.
On évitera soigneusement les traitements inhumains, qui consisteraient par exemple à contraindre Jack Lang à assister à une pièce d’Olivier Py, mise en scène par Olivier Py, jouée par Olivier Py, dans le théâtre de l’Odéon d’Olivier Py. De même, on s’abstiendra de le forcer à assister à une représentation où nulle part il ne serait question d’Olivier Py. Même Radovan Karadzic serait mieux traité.
Dans le même ordre d’idée, lui faire dessiner des caricatures de Mahomet dans un journal danois ou lui faire tenir des propos désobligeants sur la prochaine brit milah[2. Brit milah n’est pas la cousine germaine de Brit Hortefeux.] de Jean Sarkozy n’est assurément pas la meilleure chose qui soit. Cela ne provoquerait jamais que son licenciement de Charlie Hebdo et, vu qu’il n’y travaille pas, cela ne présente aucun intérêt.
En revanche, lui rappeler qu’un jour il succéda rue de Valois à François Léotard avant d’être remplacé par Jacques Toubon est une méthode efficace, mais absolument crade. Si néanmoins il y survit, lui glisser à l’oreille qu’on le retrouva un jour échoué rue Descartes entre Claude Allègre et Luc Ferry.
Quelques camarades avisés pourraient lui promettre le Panthéon à titre posthume, obsèques nationales et défilé chorégraphié par Jean-Paul Goude rue Soufflot : l’homme serait capable de passer illico l’arme à gauche.
Pendant ce temps, les Ségolénistes auront à cœur d’aller brûler des cierges à Lourdes afin que Nicolas Sarkozy le nomme très vite au Quai d’Orsay. Toutefois, il se poserait alors une question de transhumance – énorme lorsqu’il s’agit de mammouths –, puisque la rue de Solferino devrait assumer le retour de Bernard Kouchner en son sein. Et la coriacité de l’un égale celle de l’autre.
Il se peut très bien qu’aucun de ces conseils avisés ne porte ses fruits. Il conviendra alors de redoubler d’efforts et d’utiliser du gros (que Patrick Menucci et Daniel Vaillant ne se sentent pas visés) : informer Jack Lang que Petrossian a déposé le bilan et qu’il n’y a plus de caviar à Paris, même pour la gauche, serait la meilleure façon de débarrasser le Parti socialiste de l’importun. Malheureusement, cette solution risque de faire des dommages collatéraux. Mise en œuvre, elle entrainerait la disparition des trois quarts du bureau politique du parti. Mais il faut savoir ce que l’on veut et parfois adopter le code d’honneur des Heimatklänge[3. Les Heimatklänge étaient des gangs mafieux dans le Berlin des années 1920, qui dissimulaient leurs activités illicites en se présentant comme des clubs sportifs. Fritz Lang s’en est inspiré pour réaliser M le Maudit.] pour en finir avec L le Maudit.
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