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Jésus en littérature

Deux versions étonnantes de la vie de Jésus


Jésus en littérature
D.R.

Deux écrivains, à 100 ans d’intervalle, ont pris Jésus comme personnage principal de leur roman. Et chacun le revisite à sa manière, peu orthodoxe il est vrai, mais passionnante cependant. La littérature montre qu’on peut interpréter l’histoire et la vocation d’un homme considéré par les chrétiens comme étant le Fils de Dieu, sans être « sacrilège » pour autant. À l’heure où l’on justifie le fait qu’un écrivain retenu pour le prix Goncourt ait eu recours à un sensivity reader en estimant que la littérature n’a pas à blesser des gens, il est plaisant de découvrir ces deux Jésus à taille humaine.


Un siècle les sépare. L’homme qui était mort, dernier livre de D.H. Lawrence, parait en 1929. Le bâtard de Nazareth, de Metin Arditi, écrivain francophone suisse d’origine turque, voit le jour en 2023. L’un prend Jésus à la fin, au fond de son sépulcre où on le croit mort et qui ne l’est pas tout à fait. L’autre situe le sens de sa mission avant sa naissance, dans sa conception même.


Commençons par le plus récent. Inspiré des travaux de Daniel Marguerat, professeur à la faculté de théologie de Lausanne, ce titre ou plutôt ce mot de « bâtard » qui peut sembler provocateur n’a pas vocation à l’être, mais à éclairer autrement que de manière canonique un « mamzer » (Marie ayant ici été abusée par un Romain et recueillie par Joseph), relégué par la Loi juive, et qui n’aura de cesse de vouloir revenir à l’Esprit de la Loi contenu dans le Lévitique (chapitre 19, verset 18) ; où on trouve pour la première fois le commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », afin qu’exclus en tous genres ne le soient plus. Pour autant, il n’est pas question de rompre avec la « famille originelle ». « La Loi juive est tout entière de charité. Je ne veux pas l’abolir, le comprends-tu ? Je veux réformer et tu veux révolutionner », dit Jésus à Judas, lui aussi un « mamzer » et qui voudrait davantage trancher le lien avec ceux qui les réprouvent.

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Déchiré entre son attachement à la Loi, à son peuple, à la promesse faite à Joseph avant la mort de celui-ci, et le besoin impérieux de restaurer la dignité de ceux que la Loi exclut ; comprenant, d’un côté, la nécessité qu’a un peuple qui veut durer de ne pas abolir un principe fondamental (la filiation), mais éprouvant avec la même force le besoin pour les rejetés de ne pas l’être, le Jésus d’Arditi accomplit moins « l’outre-Loi » qui mène à la foi selon St-Paul, qu’il ne fait retour, à la façon des protestants plus tard, au message originel. « Il faut retrouver l’Esprit de nos Lois, plutôt que s’accrocher au sens étroit et vinaigré des mots. »

Ce Jésus-là ne veut en aucun cas faire sécession et fonder une nouvelle secte, contrairement à Judas auquel Metin Arditi fait jouer un rôle proprement stupéfiant ; une trahison certes, mais d’une tout autre nature que celle habituellement retenue… Et Jésus mourra sur la croix et ira au sépulcre.

Sépulcre où l’on retrouve le Jésus de D.H. Lawrence un siècle plus tôt, qui se réveille dans son linceul, presque mort mais presque seulement. Chancelant, il réussit à s’en extraire, à passer devant les soldats romains endormis, et à se faire abriter par des paysans tout en restant à distance d’eux, comme il restera désormais à distance de tous les hommes : « Je les vis tels qu’ils étaient, limités, maigrement vivants, sans aucune splendeur d’attitude, de courage. » Il leur reconnaît cependant ce minimum d’empathie qui lui permettra de revenir lentement, très lentement à la vie. Du moins, à la vie organique jusqu’à pouvoir tenir debout et s’en aller. Ce Jésus-là est passé par la mort, pas seulement parce qu’il l’a frôlée de très près, mais par toutes les blessures infligées et par son propre consentement qu’il va remettre en question «  J’ai été mis à mort, mais je me suis prêté au meurtre... », tout en reconnaissant à sa « descente aux enfers » la possibilité de naître une seconde fois ; d’être l’homme re-né : « Mais ma mission est achevée et mon enseignement est terminé, et la mort m’a sauvé de mon propre salut », dit-il à Madeleine qui voudrait le voir revenir parmi eux.

Néanmoins, c’est avec une amertume certaine et un regard acéré sur lui-même qu’il considère celle-ci : « Et moi, dans ma mission, je me suis précipité dans l’excès. J’ai donné plus que je n’ai pris, et cela aussi est misère et vanité ». Renversement total de perspective : à ce pari qui lui semble soudain insensé va se substituer progressivement une autre révélation : « L’homme qui était mort regarda nûment la vie ; il vit l’immense résolution qui, partout, se ruait comme la vague massive, puis subtile. »

Et c’est auprès d’une femme ; une prêtresse d’Isis, qui croit voir en lui Osiris revenu à la vie et réunifié, une femme qui attend depuis très longtemps l’homme qui enfin la touchera, que Jésus va entrevoir, incrédule, une résurrection inespérée : « Je vais de nouveau connaître la chaleur de la vie et je vais connaître la plénitude. Je serai chaud comme le matin. Je serai un homme. Se comprendre n’est pas nécessaire pour cela. Ce qu’il faut, c’est un pouvoir de renouvellement. Il y a en elle ce pouvoir. »

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Et l’homme qui était mort va consentir à l’étreinte décrite avec une ferveur rarement atteinte. Ce récit court, écrit comme une parabole,  nous offre une splendeur. D.H. Lawrence, au bord de la mort lui-même, nous lègue un testament solaire. Et surtout, il rend à éros sa puissance et sa spiritualité oubliées.

L’un, a connu le puritanisme victorien anglais, fut « crucifié » pour un roman considéré comme pornographique et qui jamais ne le fut, lutta toute sa vie pour la « grande santé », l’être vraiment vivant et charnel et son rendez-vous cosmique avec le monde. L’autre, nous renvoie à des questions très actuelles, au déchirement qu’un Français (chrétien ou pas) d’aujourd’hui peut éprouver lorsqu’il veut à la fois protéger son peuple, son histoire, sa nation, et accepter en même temps le migrant, au nom de la charité mais avec le risque de la dissolution de sa propre identité.

L’homme qui était mort de D.H. Lawrence, Éditions Gallimard, collection l’imaginaire, 1929
Le bâtard de Nazareth de Metin Arditi. Éditions Grasset, 2023
Vie et destin de Jésus de Nazareth de Daniel Marguerat, Éditions du Seuil, 2019

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Professeur de lettres modernes à la retraite, ayant enseigné dans le 93.

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