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L’exception namibienne

Pourquoi la Namibie n'a-t-elle pas sombré dans les affres classiques des indépendances africaines?


L’exception namibienne
Maisons datant de l'occupation coloniale allemande à Luederitz, en Namibie © imageBROKER.com/SIPA

La négociation en cours entre l’Allemagne et la Namibie d’un accord de reconnaissance du génocide des Hereros et son indemnisation constitue une occasion de s’intéresser à l’ancienne Deutsch-Südwestafrika…


La Namibie est un pays pas comme les autres sur le continent africain. Ancienne colonie allemande, ce pays d’Afrique australe de 825 000 km2  en a conservé une caractéristique majeure : le souci de l’ordre. Son accession récente à l’indépendance n’a pour ainsi dire pas été accompagnée des maux qui frappent l’Afrique décolonisée, comme la prégnance de l’ethnisme et de la corruption galopante. Ce pays, de peu d’importance économique et stratégique aujourd’hui, a su conserver ses atouts développés sous la domination blanche, c’est-à-dire le maintien de son caractère rural combiné intelligemment à l’exploitation de ses ressources naturelles du sous-sol. Au point que ce pays représente une réussite, quand on le compare à l’évolution actuelle de l’Afrique en général et de son grand voisin, longtemps son tuteur, l’Afrique du Sud.

Une histoire ancienne a priori banale

Une large superficie, une fois et demie de celle de la France, et un très faible peuplement de 3 habitants au km2, soit à peine plus de 2 500 000 d’âme, sont les premières caractéristiques de ce territoire. Peuplé à l’origine par l’ethnie San, celle des Bushmen, chasseurs-cueilleurs, et les Khoïs, peuple pastoral, le pays ne connaîtra que tardivement l’influence bantoue venue du nord. Ces peuples d’origine parlent des langues de type khoïsan, dont la caractéristique la plus connue est l’emploi des clics, procédé très original illustré par le rôle principal dans le film Les Dieux sont tombés sur la tête. Cette population était particulièrement adaptée à un climat rude. Une sécheresse extrême règne dans le pays pendant neuf mois de l’année.

Les explorateurs portugais, longeant la côte ouest de l’Afrique, renonceront à s’y installer, et se cantonneront à ce qui deviendra l’Angola. Une colonisation ancienne mais diverse affectera le pays. Car il fallait d’authentiques colons pour décider de vivre dans ce pays désertique. C’est à la faveur de la colonisation néerlandaise, de peuplement, que des fermiers Boers, « paysans » en afrikaans, suivis par des Huguenots et des Allemands, vont commencer à mettre en valeur ce grand territoire, à partir de la province du Cap. Le pays, qui se définit au fond par la zone située entre l’Angola et le désert du Kalahari, ne pouvait attirer que des hommes déterminés à y installer une agriculture centrée sur l’élevage extensif, essentiellement de bovins, en creusant ici et là des puits à grande profondeur. Cette évolution ne correspond pas à la plupart des colonisations en cours à l’époque.

Ce sont les Allemands qui vont décider de s’y implanter en instituant le protectorat du Sud-Ouest africain, la Deutsch-Südwestafrika, en 1884. La majeure partie du territoire verra l’installation de nombreux fermiers venus d’Allemagne, rejoints par une nouvelle vague migratoire d’Afrikaners, notamment les Boers. La courte période allemande, qui prendra fin en 1915, permettra cependant la constitution d’une économie solide, essentiellement rurale. Il en résulta inévitablement une opposition avec les premiers habitants indigènes, et spécialement le peuple Herero, qui ne supportera pas que l’occupant blanc cultive les terres et libère ses esclaves Namas qui deviendront leurs ouvriers agricoles. 

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La solution du problème sera typiquement allemande, radicale. On proposera au peuple Herero de se soumettre, ou de partir dans le désert du Kalahari. Evidemment il refusera et le général Lothar von Trotha, commandant en chef des forces coloniales en Afrique orientale allemande, demandera ses instructions à Berlin. Un câble lui intimera de « régler le problème ». L’affaire se terminera dans le sang au mois d’août 1904, lors de la bataille du Waterberg, au cours de laquelle des milliers de Hereros, ainsi que des Namas, furent massacrés avec leurs familles. L’ordre régnait dans le Sud-Ouest Africain. L’Afrique du Sud profitera de la Première Guerre mondiale pour s’emparer du pays, dont la gestion lui était alors confiée, via le Royaume-Uni, par un mandat de la S.D.N.

On pouvait penser alors que le pays suivrait le sort du mouvement des indépendances des années soixante…

L’influence sud-africaine

La République Sud-africaine (R.S.A), comme conséquence de la défaite allemande, demandera l’annexion pure et simple du territoire, ce qui lui sera refusé. Pour autant, plusieurs considérations conduiront la R.S.A a y conserver farouchement une influence directe. D’abord le peuplement blanc de la future Namibie devait être protégé. Ensuite, les liens économiques, notamment la production de viande bovine indispensable à l’Afrique australe, empêchaient toute idée de perte de contrôle politique. En outre les débuts de l’exploitation industrielle du sous-sol, en particulier le diamant, promettaient un fort développement.

Enfin, c’est précisément la montée en puissance des mouvements de libération, principalement les pays lusophones (Angola et Mozambique), qui va décider l’Afrique du Sud à défendre coûte que coûte sa mainmise sur le Sud-Ouest Africain, vitale pour ses intérêts géopolitiques. L’Angola et la Zambie ont en effet longtemps hébergé la base arrière des mouvements indépendantistes. C’est une très longue frontière régionale avec l’Angola, la Zambie et le Mozambique, siège d’intrusions armées permanentes que l’Afrique du Sud devait défendre. Avec l’aide de la Rhodésie de Ian Smith, elle mènera une lutte acharnée contre les incursions en provenance de la Zambie, l’ancienne Rhodésie du nord, et du Mozambique également sous influence des forces de l’Est. En Angola, jusqu’à 36 000 soldats cubains et leur armement soviétique appuieront les offensives sur le Sud-Ouest Africain.

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Malgré une opinion internationale condamnant unanimement l’apartheid pratiqué en Afrique du Sud, le pays des Afrikaners bénéficiera d’une tolérance manifeste dans son combat contre l’influence de l’URSS et de Cuba. Au point que la France, malgré ses prises de positions politiques, fournira discrètement hélicoptères Puma et systèmes de protection anti-aérienne Crotale. Et c’est paradoxalement en 1988, avant même l’effondrement de l’URSS, qu’un accord international fut trouvé pour mettre fin à ce conflit, ouvrant la voie à l’indépendance de la Namibie prononcée le 21 mars 1990.

Contre toute attente…

Les Namibiens étaient alors face à leur destin. Allaient-ils sombrer dans les affres classiques des indépendances africaines ?

Et bien non. L’Afrique du Sud, bien loin des promesses de la « Nation arc-en-ciel », était vite ravagée par la toute-puissance de l’A.N.C qui la pille consciencieusement depuis 30 ans. La Namibie quant à elle su éviter l’effondrement avec l’aide bienveillante de la communauté internationale et l’influence de l’Allemagne, qui compte encore une forte population (26 000 germanophones) de ses ressortissants fermiers qui ont conservé la double nationalité, par précaution. La population blanche, qui occupe une très large main d’œuvre, est respectée dans ses droits. Ici, pas d’expropriation violente ni de meurtres des fermiers blancs, tués par milliers en Afrique du Sud depuis la fin du régime blanc, ou purement et simplement chassés comme dans le Zimbabwe de Robert Mugabe.

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Il n’y aura pas de prétendus anciens combattants s’appropriant les fermes des blancs comme au Zimbabwe. Le gouvernement rachète des fermes de blancs  au prix du marché. L’ethnisme, source première de la corruption en Afrique, est quasi inexistant. Le pouvoir politique appartient aux populations noires, mais la minorité blanche, constituée par les Allemands, Afrikaners et les métis de longue date, garde sa place. La coexistence de groupes ethniques très différents est un fait acquis. Les Namibiens d’origine savent que le vivre-ensemble est essentiel pour le pays. Leurs dirigeants ont fait preuve de réalisme plutôt que de militantisme tiers-mondiste. On observe même, dans la population blanche, qui se considère africaine à part entière, un mouvement de décrochage vis-à-vis de l’Afrique du Sud, sa puissance tutélaire, qui risque de l’entraîner dans une crise économique majeure. « L’Afrique noire est mal partie », titrait en 1962 René Dumont, qui avait bien compris que des pays qui n’avaient pas de classe moyenne ni d’élite indigènes seraient condamnés au pillage par les agents économiques extérieurs et ses nouveaux dirigeants stipendiés. C’est la démonstration qu’en Afrique, on peut échapper aux mauvais démons.



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Avocat Honoraire, ancien bâtonnier

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