Le savoir rend libre. L’ignorance rend esclave. Quand se décidera-t-on à graver ces mots tout simples au fronton de nos écoles ?
Il faut, c’est l’évidence même, revitaliser notre système éducatif, réconcilier l’école de la République avec sa fonction originelle qui est de dispenser pour tous et partout le savoir, la connaissance. Ce savoir pour tous qui, répétons-le encore et encore, est le fondement même du principe démocratique. « Il convient que le peuple soit éclairé », écrit Montesquieu. La formulation, certes, fleure la condescendance du temps, mais la prescription n’en est pas moins d’une absolue pertinence.
La République de Jules Ferry et de quelques autres s’attachait à bâtir une école dans chaque hameau, à chaque carrefour du pays, ou presque, afin que soit entreprise la mise en œuvre de la sentence de Montesquieu. Jusque dans la plus reculée des campagnes, l’enfant de France doit pouvoir être nourri du même corpus de connaissances que l’enfant des villes. Le petit paysan, l’enfant d’ouvrier comme le rejeton du bourgeois doivent avoir cela – au moins cela, à défaut de cent autres choses – en commun. C’est ainsi qu’on fabrique – oui, qu’on fabrique, j’assume le terme – un peuple éclairé, qu’on forme des citoyens capables de choisir en toute liberté, c’est-à-dire en parfaite connaissance de cause parmi les offres politiques, sociales, culturelles qu’on leur présente ; des citoyens armés mentalement, intellectuellement pour être en mesure de se soustraire aux enfumages de l’obscurantisme protéiforme dont on voit bien qu’il prospère aujourd’hui comme jamais au cours des deux derniers siècles. On en est – un exemple entre cent autres – à subir la haute science d’un rappeur à tapis rouge dans les médias autorisés professant sans rire et avec succès que les pyramides d’Égypte étaient autant de centrales électriques et les obélisques des antennes de haute technologie. Bien évidemment, toutes ces belles inventions auraient été finalement pillées sans vergogne par l’Occident, ou si préférez par ce fumier d’homme blanc. Le pire est que face à cela on ne bâtit plus les digues, les remparts. On se couche. On se soumet. On abdique. Autre exemple, d’une tout autre importance, voile, abaya, qamis à l’école. Pour combattre cela, au lieu d’aller s’embourber dans d’abscons et interminables débats byzantins sur le concept de laïcité, les politiques seraient bien inspirés de choisir la voie du courage. Le courage d’affirmer tout tranquillement, ce que nous sommes, nos mœurs, nos règles de vie, bref ce que nous revendiquons d’être et ce que notre école devrait se faire une gloire – oui, une gloire – d’enseigner.
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Que nous disent ces vêtements emblématiques, si ce n’est une forme d’adhésion à un système d’organisation sociale dans lequel la femme n’est pas l’égale de l’homme, l’homosexualité un délit, voire un crime, la polygamie un accommodement tout à fait acceptable ? Autrement dit, l’exact opposé de ce dont l’école de la République est à la fois le sanctuaire et le messager. L’exact contraire de ce qu’elle est en charge d’apporter à la jeunesse qui lui est confiée. C’est un peu comme si un quidam se présentait pour intégrer une équipe de foot en annonçant d’emblée, crânement, qu’il se fout des règles du hors-jeu et qu’il ne se privera pas de pousser le ballon avec la main si cela lui chante. On lui objecterait avec raison. « Vous vous trompez et de discipline sportive et d’endroit… » Sauf que, si ce quelqu’un, au lieu d’être tout seul devenait plusieurs, nombreux, de plus en plus nombreux, on en viendrait nécessairement tôt ou tard à se poser la question de la nécessité de modifier le règlement. Ainsi de l’école, où avec le nombre grandissant de porteurs de tels signes, on devra – qu’on le veuille ou non – renoncer à promouvoir haut et clair l’égalité entre l’homme et la femme, le droit à l’homosexualité, etc, etc. Nul ne l’ignore, d’ores et déjà, censure et autocensure sont à l’œuvre lorsqu’il s’agit d’aborder l’enseignement de certains moments de l’histoire. La shoah notamment. Est-ce bien ainsi qu’on compte fabriquer un peuple éclairé, former des citoyens réellement libres, agissant en conscience, établissant leurs choix de vie en toute indépendance et en parfaite connaissance des tenants et aboutissants ? Poser la question en ces termes, c’est évidemment y répondre.
L’apprentissage de la volonté
Cela dit, l’école – l’école telle qu’elle doit être – n’est pas que le lieu d’acquisition du savoir. Elle l’est aussi de l’apprentissage de la volonté. La volonté, cette vertu mentale sur quoi se fonde tout autant que sur la connaissance la liberté de l’être humain. Le philosophe Alain exprime cette vérité on ne peut plus clairement lorsqu’il écrit : « Les épreuves d’écolier sont des épreuves pour le caractère, et non point pour l’intelligence. Que ce soit orthographe, vers ou calcul, il s’agit d’apprendre à vouloir. » On ne peut mieux dire.
Certes, l’école de la République n’est pas finie. Il se trouve en son sein maints personnels de forte conviction et de qualité qui, à bas bruit et se sentant bien seuls, s’ingénient à tenir la barre. Aussi, est-il grand temps que la cloche sonne la fin de la récréation. La récréation de quatre ou cinq décennies d’un pédagogisme débilitant, démagogique ad nauseam qui est tout de même parvenu à reléguer à parfaite égalité de non-valeur ignorer et savoir, connaissance et ignorance, sachant et ignare.
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Bourdieu le père tout-puissant de cette religion-là a réussi, lui, à consacrer cette formidable imposture d’une phrase : « L’action pédagogique n’est que l’imposition d’un arbitraire culturel par une violence symbolique. » L’écolier, l’élève ne serait donc en fait qu’une triple victime. Victime d’une « imposition », victime d’un arbitraire, victime d’une violence. Faut-il rappeler ici que c’est à son passage par cette imposition, cet arbitraire, cette violence que Bourdieu soi-même a pu acquérir les armes, les moyens intellectuels d’accéder à cette liberté de pensée qui – elle et elle seule – lui a permis de devenir ce qu’il est devenu, de faire les choix philosophiques, politiques, culturels qui ont été les siens. Au fond, sans le savoir, c’est un formidable hommage que, par le simple fait d’être ce qu’il était, il a rendu à l’école de la République. Contradiction, certes, mais contradiction fertile et noble s’il en est. Comme quoi les voies de Bourdieu, elles aussi, sont impénétrables.
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