Qui a envie de regarder la mort en face ? Personne. C’est pourtant ce que fait depuis une trentaine d’années la psychologue clinicienne Marie de Hennezel.
Alors que la question de la fin de vie n’a jamais été autant d’actualité, le témoignage de Marie de Hennezel s’avère essentiel. En 2023, Olivier Le Naire prend le bateau à destination de l’île d’Yeu pour aller converser avec celle qui fut l’une des pionnières des soins palliatifs en France. A priori rien ne prédisposait l’ancien journaliste à s’intéresser à ces sujets, jusqu’à ce qu’il perde son frère et soit lui-même hospitalisé pour un Covid sévère.
Refus catégorique du « suicide assisté »
Dès lors se fit jour l’idée d’inviter la psychanalyste à se confier pour la première fois et ce de manière très intime. En résulte un livre d’entretiens passionnant qui met en lumière des questions que notre société préfère occulter : le vieillissement et la fin de vie. Pour Marie de Hennezel, la familiarité avec la mort remonte à l’enfance. Dès ses cinq ans, sa grand-mère l’emmène chaque soir au cimetière. Cela laisse forcément des traces. Puis son père se suicide à l’âge de quatre-vingt-un ans. De là vient sans doute son intérêt pour les soins palliatifs. Mais aussi son refus catégorique de ce qu’elle n’appelle jamais que « le suicide assisté ». Elle est donc fortement opposée aux modalités législatives envisagées pour encadrer la fin de vie, manière trop simple, selon elle, de régler le problème majeur de notre société : le vieillissement de la population. En 2030, un Français sur trois aura plus de soixante ans. Une situation inédite dans l’histoire de l’humanité qui exige de se pencher sur la question et de trouver des solutions. Pour la psychanalyste âgée de soixante-dix-sept ans, qui fut proche de François Mitterrand et l’accompagna dans les derniers moments de sa vie, nous allons droit vers une situation explosive. « Explosive humainement, explosive socialement, explosive économiquement, explosive politiquement », et d’ajouter « je ne vois pas, à part le dérèglement climatique, une guerre ou une catastrophe nucléaire, pire bombe à retardement pour une société développée ». Or que font les gouvernements de gauche comme de droite ? Rien. Robert Badinter résumait ce désintérêt en une phrase : « En France, on n’aime pas les vieux ».
Une question vite évacuée
Dans une société hantée par le jeunisme, la mort devient taboue. Alors autant l’évacuer. Pour cette psychologue atypique qui monte sur les lits de ses patients et les invite à s’enrouler autour d’elle en position fœtale, proposer une injection létale est une manière bien trop simple de régler le problème. Plus besoin en effet d’avoir recours aux unités de soins palliatifs compétentes, dont on sait combien elles sont engorgées. « Proposer le suicide à des personnes que l’on ne sait pas vraiment soigner ou accompagner. Voilà le scandale » s’insurge la psychanalyste. Aussi rappelle-t-elle qu’il y a d’autres façons d’aborder la mort. Sans doute moins violentes. L’anorexie finale, par exemple, dont on parle peu et qu’il est possible d’encadrer.
Les mourants, qui cessent de boire et de s’alimenter, s’éteignent en quelques jours. Sans souffrance.
« Bien sûr, chacun est libre de mourir comme il le souhaite, mais à condition d’être informé de tous les moyens légaux », précise celle qui a accompagné des centaines de mourants. A méditer.
L’Eclaireuse, entretiens avec Marie de Hennezel d’Olivier Le Naire