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Tant qu’il y aura des films

« L’Art d’être heureux », de Stefan Liberski, « Quand vient l’automne », de François Ozon et « Les Disparus de Saint-Agil » de Christian-Jaque


Tant qu’il y aura des films
Benoît Poelvoorde et François Damiens © Laurent Thurin-Nal

Un acteur en majesté, un polar bourguignon gouleyant et une merveilleuse reprise, c’est le tiercé gagnant et francophone d’un mois de cinéma polyphonique comme il se doit.


Art brut

L’Art d’être heureux, de Stefan Liberski

Sortie le 30 octobre

Le film pourrait s’appeler L’Art d’être Benoît Poelvoorde et tiendrait ainsi sa promesse. Il s’intitule plus platement L’Art d’être heureux, mais on ne lui en veut pas car, justement, brille en son centre un acteur-roi, un phénomène d’écran dont chaque apparition relève du funambulisme détraqué : au fil des scénarios et des réalisateurs, ça passe ou ça casse, ça frise le génie pur ou ça s’écrase dans le cabotinage. On dit Poelvoorde « fragile » (euphémisme) en dehors des plateaux, en feignant de croire qu’il est « fort » quand on dit « Action ! » (« Pourquoi faire ? » dixit Depardieu). C’est cette éventuelle faiblesse qui rend son jeu improbable, imprévisible et incroyable. Depuis 1992 et l’iconoclaste C’est arrivé près de chez vous, de Rémy Belvaux et André Bonzel, l’acteur belge alterne les tournages de films d’auteur, de comédies réussies et de pochades sans nom. Sans lui, Podium de Yann Moix ne serait qu’une épure de bonne idée. Il en est de même pour Les Randonneurs et Le Vélo de Ghislain Lambert, tous deux de Philippe Harel, comme des Convoyeurs attendent de Benoît Mariage. Il est lumineux dans Trois cœurs de Benoît Jacquot (après Depardieu, encore un « proscrit », soit dit en passant) autant que dans Normale d’Olivier Babinet. On s’en voudrait d’oublier ce qui est peut-être son meilleur rôle, sa composition la plus dingue, la plus névrotique et donc la plus enthousiasmante, dans le trop méconnu Les Portes de la gloire, réalisé par Christian Merret-Palmair en 2000 : représentant de commerce hallucinant et halluciné, il passe ses soirées à revoir Le Pont de la rivière Kwaï en se prenant pour son héros.

Le réalisateur de L’Art d’être heureux, Stefan Liberski, a manifestement vu ce film en écrivant son scénario et en imaginant le personnage joué par Poelvoorde. On ne risque pas de lui reprocher cette inspiration de haut vol. Son personnage principal, qui se nomme Jean-Yves Machond, est un « peintre mondialement méconnu et globalement malheureux qui décide de changer de vie et d’aller chercher l’inspiration dans une petite ville normande au bord de la mer », précise le synopsis. Machond offre surtout à Poelvoorde l’occasion d’ajouter un nouveau spécimen à sa collection de perdants magnifiques, de ratés flamboyants et d’abrutis géniaux. Une coupe de cheveux indescriptible, une « veste d’artiste » ridicule dans laquelle il flotte littéralement, un esprit de sérieux affligeant : en quelques traits saillants, Poelvoorde tient son personnage du début jusqu’à la fin. Il est lamentable face aux femmes comme face à l’art, la mer ou les emmerdements. Une incapacité constante, admirablement tenue, face à tout et à tout le monde. Et le voilà qui se retrouve en caleçon au bord d’une route, seul, toujours seul, ou bien dans sa maison d’architecte aussi moderne qu’inhabitable parce que, comme lui, sans fondations… Le tout sur fond d’une critique assez réjouissante des impasses de l’art contemporain radical qui ne sait plus distinguer un sexe féminin d’un hérisson. On ira jusqu’à pardonner au réalisateur, qui semble sérieusement croire à son propos sur le bonheur, de faire sombrer son film dans la mièvrerie en inventant une progéniture cachée à son héros. Poelvoorde résiste même à cela, à cet assaut final d’attendrissement niaiseux et téléphoné. Ainsi vont les génies de ce métier : Raimu, Saturnin Fabre, Darry Cowl, de Funès, Jacqueline Maillan, Jean Poiret, Michel Serrault et quelques autres acteurs et comédiens hors norme qui ont en commun une folie pure, un sens inné d’une mécanique qu’on appelle le rire. Mécanique qui, comme chacun le sait, est l’unique réponse possible à l’indépassable mélancolie.


Art noir

Quand vient l’automne, de François Ozon

Sortie le 2 octobre

Bien malin celui qui pourrait définir d’un mot ou même d’une phrase l’univers de François Ozon. Il est à lui tout seul la négation de la notion de cinéma d’auteur. Allez donc trouver le lien entre le flamboyant mélo Sous le sable, avec Cremer et Rampling, et Potiche, le tordant « boulevard » avec Deneuve et Depardieu (décidément)… Son nouveau film, Quand vient l’automne, n’échappe pas à cette « règle ». Cette fois, il nous propose un drame vénéneux en Bourgogne. Vénéneux, oui, parce qu’au centre de cette ténébreuse affaire familiale, on trouve un plat de champignons toxiques. Tout commence donc par un petit repas en famille au cours duquel une fille plutôt revêche se délecte des champignons concoctés par sa retraitée de mère. S’ensuit une histoire dont on se gardera bien de révéler ici les méandres et autres surprises surgies d’un passé sulfureux. Hélène Vincent, Josiane Balasko et Ludivine Sagnier mènent un bal parfaitement réglé.

© FOZ/FRANCE 2 CINEMA/PLAYTIME

Art d’antan

Les Disparus de Saint-Agil de Christian-Jaque

Sortie le 23 octobre

Alain Delon aimait à raconter qu’à l’âge de 14 ans, il avait fugué du domicile familial pour tenter de rejoindre les États-Unis avec son meilleur ami. Ils n’avaient pas dépassé Romorantin. Mais on se dit à l’énoncé d’un tel projet que le petit fugueur s’était peut-être inspiré d’un film vu au Régina, le cinéma paternel de Bourg-la-Reine : Les Disparus de Saint-Agil réalisé par Christian Jaque en 1938. Il aurait été séduit par les trois collégiens de la bande des « Chiche-Capon » (dont l’un est joué par Mouloudji), qui rêvent de partir pour l’Amérique… Avec Erich von Stroheim et Michel Simon à son casting, ce film est une pure merveille qui mêle très habilement film d’enfance et polar sur fond de fausse monnaie. Il s’en dégage un charme irrésistible sur lequel les années passent, donnant une nouvelle preuve que nombre de films de Christian-Jaque doivent être définitivement réhabilités, depuis ces Disparus jusqu’à Un revenant, Fanfan la Tulipe, L’Assassinat du père Noël, Boule de suif et tant d’autres.

DR

Octobre 2024 - Causeur #127

Article extrait du Magazine Causeur




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Critique de cinéma. Il propose la rubrique "Tant qu'il y aura des films" chaque mois, dans le magazine

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