« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendras. Causeur peut y dénicher quelques pépites…
Nous avons collectivement cru que les « Hussards » comptaient quatre membres historiques : Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et Michel Déon. Nous avions oublié leur capitaine d’équipe à l’allure rupestre, grand gaillard portant la brosse haute et pourvu d’un tarin de compétition que seuls les Gascons arborent avec majesté sur les rives de l’Adour. Étrange phénomène physique pour un garçon né à Équeurdreville, dans la Manche, fils d’un officier d’artillerie et d’une mère oléronaise, ayant suivi ses études classiques au Prytanée militaire de La Flèche avant d’être diplômé de l’École supérieure de commerce et de l’industrie de Bordeaux. Geneviève Dormann, dans la préface de la réédition de L’Air du pays parue en 1986 écrivait : « C’est que le chef “hussard”, c’était lui, c’était Kléber ». Kléber Haedens (1913-1976) n’avait pas la bosse du commerce, mais celle des lettres. Il fut pour toute une génération d’apprentis journalistes un guide sûr, un conseiller littéraire délicat, un sportif averti, un ami jouisseur des « choses de la vie ». L’un de ces lecteurs dont l’avis et le jugement sont de précieux sésames pour entrer en littérature comme on entre sur le central de Roland-Garros avec une raquette en bois à cordage en boyau naturel.
A lire aussi, Georgia Ray: Fous d’artifice
Durant la Seconde Guerre mondiale, à Lyon, il a écrit une Histoire de la littérature française, personnelle donc à usage universel, qu’il est indispensable de posséder dans sa bibliothèque sinon vous risquez de passer pour un jean-foutre en société. Mémoire fabuleuse, érudition du monde d’avant, finesse d’Ancien Régime sous une carapace paysanne, Kléber avait tout lu, tout retenu, il récitait des vers entiers au débotté et se souvenait d’un cinquième set accroché dans une obscure Coupe Davis d’avant-guerre. Kléber était le croisement des mousquetaires de Dumas et de Borotra. Ancien secrétaire de Charles Maurras, critique littéraire à Paris-Presse, chroniqueur au Journal du dimanche, romancier d’une nostalgie provinciale éruptive couronné par le prix Interallié en 1966 pour L’été finit sous les tilleuls et grand prix du roman de l’Académie française pour Adios en 1974, Kléber n’avait pas la plume amère des professionnels du métier. Aucun dégoût ou moralisme désuet ; au contraire, une vitalité dans le trait, une perspicacité dans le portrait, une forme d’esprit français qui semble avoir disparu. En 1963 sort L’Air du pays, il est composé de chroniques pour la plupart extraites de l’hebdomadaire Le Nouveau Candide, d’obédience gaulliste. Ce carnet de bord buissonnier est une source d’admiration, de déambulation, d’échappées et de prouesses stylistiques. Kléber était le roi des chroniqueurs, on picore chez lui tant d’éclats de lumière, il bouscule les lignes droites des essais faisandés. Kléber avertit, dès sa préface : « L’air du pays se respire partout où se retrouvent nos amitiés et nos amours. » Il enchante par sa culture immense et nous émerveille par ses sauts de cabri. Sous sa plume, on passe d’un dimanche pluvieux à Toulouse sur le canal du Riquet à Chardonne de retour d’Espagne, on cabote de Charles Trenet au torero Antonio Ordóñez ou du stade Jean-Bouin à Ray Charles.
L’Air du pays, de Kléber Haedens, Albin Michel, 1963.