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Un fauteuil pour 60 millions de prétendants!

“L’Académie par un des 40” de Jean Dutourd (Le cherche midi)


Un fauteuil pour 60 millions de prétendants!
Jean Dutourd. © Hannah Assouline

L’Académie française, son histoire et ses arcanes, croquée avec humour par Jean Dutourd (1920-2011) dans un court texte republié au Cherche midi


En France, le granitique fait sourire. Une confrérie de « vieux » messieurs cornaquée par une grande dame, travaillant à la sauvegarde de la langue et à l’élaboration d’un dictionnaire, s’habillant parfois de façon fort peu conventionnelle mais toujours très protocolaire, a de quoi heurter notre égalitarisme épidermique. Sous cape, on ricane devant tant de vanités réunies et d’obsolescence programmée. Ce serait aussi désuet que la truite meunière de ma grand-mère et la sélection du Reader’s digest par voie postale. Le club des 40 existe depuis Richelieu et se réunit tous les jeudis après-midi, à l’heure du goûter. On dit que le Quai de Conti ouvre les portes du paradis. Quand vous interrogez la plupart des écrivains vivants sur leurs envies d’immortalité, ils nient farouchement leur intérêt d’y entrer, d’en faire partie, de se soumettre aux ridicules rites de passage, ils ont passé l’âge du scoutisme et des bons points distribués par la maîtresse. En vérité, ils y pensent tous, en se rasant. Car, selon la formule de Lamartine, l’Académie, « c’est plus qu’une tradition, c’est une habitude de la France ». 

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Poésie en banqueroute

Dans un pays désœuvré, ne croyant ni aux sirènes des politiques, ni aux prospectus des marchands, l’Académie, malgré ses lourdeurs et ses lambris, continue de nous faire croire au pouvoir des mots. Même si la bataille est perdue depuis longtemps, le texte enseveli sous la mitraille des images, la littérature en écharpe, les auteurs au RSA, la phrase en déroute, la poésie en banqueroute, nous savons que, rive gauche, sur les bords de la Seine, il existe une institution certes imparfaite qui donne cependant encore le change. C’est à la fois dérisoire et sublime, naïf et d’une résistance folle dans une époque où un tweet démet un ministre et où une faute de français vous rend populaire à la télévision. Jean Dutourd, Grand officier de la légion d’honneur, élu en 1978 au fauteuil 31 de Jacques Rueff avait écrit L’Académie par un des 40 qui parut, une première fois en 2009, en cachant l’identité de son auteur. 

Il ressort aujourd’hui au Cherche midi avec sa véritable paternité, préfacé par Erik Orsenna et illustré par Philippe Dumas. Le livre est court, joliment démodé, ironique sans trop d’amertume et spirituel du genre rapace comme l’était le pensionnaire à moustache des Grosses Têtes. Sur une centaine de pages érudites, Dutourd s’amuse de ces prédécesseurs illustres, retrouve quelques formules qui ont fait mouche en séance et nous rappelle que « Louis XVIII est le vrai sauveteur de l’Académie. Il l’a rétablie dans son lustre de l’Ancien Régime, il lui a rendu sa prééminence ». On se délecte de la définition établie par Guizot en 1854 sur les qualités nécessaires pour faire un bon académicien, parlant d’un certain Legouvé (1807-1903), dramaturge oublié, recalé deux fois qui retentait sa chance : « Je lui donnerai ma voix, car je lui trouve les qualités d’un véritable académicien. D’abord il présente bien, il est très poli, il est décoré, il n’est d’aucune opinion, je sais bien qu’il a ses ouvrages, mais que voulez-vous, personne n’est parfait ». Là, demeure le principal handicap pour un postulant, son œuvre plus que l’absence d’une œuvre. 

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Académie française ? Bilan globalement positif

Dutourd prévient le prétendant qui serait amené à rendre visite aux académiciens, dans ce tour de manège où les égos les mieux accrochés risquent de trembler : « Il faut poser en principe que votre interlocuteur ne sait rien de vous, n’a pas lu une ligne de vos œuvres et se contrefiche de votre avenir. N’allez pas lui suggérer que vous êtes célèbre ou que vous avez du talent. Étant de l’Académie, il se considère comme incommensurablement plus illustre et plus génial que vous ne le serez jamais (sauf, bien sûr, si vous êtes élu, mais nous n’en sommes pas là) ». Dutourd fait un bilan plutôt positif de cette honorable maison sur plusieurs siècles, si sous Louis XIV y siégèrent tout de même Corneille, Racine, Boileau, La Fontaine et La Bruyère, il y eut bien quelques loupés avec Balzac, Stendhal, Dumas Père ou Molière. Et selon Dutourd, « Elle n’a été vraiment injuste que pour Zola, Benjamin Constant et Baudelaire ». Et aujourd’hui qui ferions-nous entrer ? Je propose Yves Charnet et, je regrette que Marc Alyn ne puisse concourir car l’âge limite de candidature a été fixé à 75 ans.

L’Académie par un des 40 de Jean Dutourd – Le cherche midi

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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