Quand on n’est pas président, et qu’on aspire à l’être, il faut montrer sa capacité à le devenir. Et, comme dirait ma technicienne de surface, « c’est plus dur à faire qu’à dire ! ». Cette épreuve était particulièrement difficile pour François Hollande, car son parcours politique n’est pas passé par la case gouvernementale, et sa « présidentialité » n’a pas été construite loin en amont, comme celle de son malheureux rival potentiel au PS, DSK…
L’épreuve du « grand mitinge », non pas du métropolitain, mais du Bourget était donc pour lui décisive : sa transfiguration mentale allait-elle être à l’image de la mutation physique qu’il s’est imposée pour sortir de la cohorte des rondouillards ?
Si l’on en reste à la forme, c’est-à-dire à ce qui « s’imprime » dans le cerveau reptilien de l’électeur potentiel, l’épreuve est incontestablement réussie. La mise en scène du mitinge, signée Manuel Valls et ses amis d’une grande agence de com’ était de grande classe. On chauffe la salle avec Yannick Noah[1. Quand on cogne sur les riches en général, on peut aimer un riche en particulier…], éternel N° 1 des concours de popularité. Pierre Moscovici, directeur de campagne, a rasé sa barbe de trois jours de bobo germanopratin tout juste revenu de Toscane (message : « finies les vacances, maintenant ça va cogner sérieux ! »). Martine Aubry se fait petite souris (dure épreuve !) et Ségolène Royal joue les groupies en état de pâmoison (non moins dure épreuve). Un seul homme résiste à cette injonction offenbachienne d’enthousiasme, de gaîté et de bonne humeur et tire un tête d’enterrement cruellement révélée par les plans de coupe sur l’assistance pendant le discours de Hollande : Lionel Jospin. Est-ce l’allusion faite par ce dernier au 21 avril 2002 comme « une blessure dont (il) gardera la trace » qui a mis l’ancien premier ministre en pétard ? Jospin n’étant pas un grand bavard enclin à étaler ses états d’âmes sur la place publique, on n’en saura donc sans doute pas plus. Comme dans chaque fête de famille, il y en a toujours un qui fait la tronche, ce qui n’empêche nullement les autres de s’amuser.
Le discours était de bonne facture et l’orateur suscitait l’admiration par sa capacité à tenir presque jusqu’à la fin sur un registre sonore élevé et astreignant pour les cordes vocales. Fini, « monsieur petite blague » qui ne peut s’empêcher de lâcher une astuce pour agrémenter un aride développement économique. L’Histoire est tragique, ou elle n’est pas.
Ce discours était classique dans tous les sens du terme : cicéronien dans la longue période sur l’égalité âme de la France et comme discours de premier tour, où l’on se doit de rassembler son camp pour affronter le second en bonne position. Dans le camp Hollande, on ne « triangule pas », comme dans le sarkozysme version Guaino. On ne va pas marauder chez l’adversaire des références historiques (Jaurès, Guy Môquet) pour se les approprier. La nécessaire rigueur budgétaire, on va la chercher chez Pierre Mendès France et non chez Antoine Pinay. Le patriotisme de Hollande s’enracine dans sa Corrèze d’adoption et les martyrs de la Résistance de Tulle, sans s’encombrer de Maurice Barrès. Le message est dans la nuance : Camus, plutôt que Sartre, Clemenceau plutôt que Jaurès « ça parle » à qui sait entendre…
Quoi de plus classique, aussi, que les charges au canon contre l’argent, les riches, « le monde de la finance » anonyme et sournois ? Des « deux cents familles » de la rhétorique du Front populaire au « grand capitâââl » de feu Georges Marchais, le vocabulaire change, mais l’esprit reste. Le message est sans équivoque : « Toi qui es tenté par le vote Méluche, au risque de provoquer un nouveau 21 avril, sache qu’un bulletin Hollande ne t’embarquera pas dans une dérive droitière… »
Mais, en même temps, il fait un clin d’œil aux classes moyennes et moyennes supérieures en fixant la limite de la richesse insolente à 150 000€ de revenus annuels par foyer fiscal, une notable évolution par rapport à de précédentes déclarations où, selon lui, on était riche à partir de 4000 € de revenus mensuels.
D’un point de vue formel et tactique, ce discours est donc une réussite. Hollande s’est donné une stature de chef et l’image d’un homme capable de galvaniser les foules. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas tout. Sera-t-il capable de mettre un terme, au moins pour trois mois, aux « petites phrases », aux tweets ravageurs des éléphanteaux socialistes travaillés par leur ego et en mal de présence médiatique ? Il aime les gens, dit-il. C’est bien le moins. La victoire, cependant, ne dépendra pas de la réciproque : les Françaises et Français ne cherchent pas un copain pour le mettre à l’Elysée, mais un président qui préside. C’est, paraît-il, un métier.
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