C’est le poids des mots et le choc des photos. Mais il n’y a pas de voyeurisme ou de complaintes emphatiques. Juste des appels lancés à la poésie, à la réflexion, sur ce monde nouveau qui nous habite parfois jusqu’à l’écrasement. Ensemble, ils le décortiquent, ils le cisèlent au scalpel, et la chimère se livre. Et c’est aussi fascinant qu’effrayant. À Gérard Rancinan l’objectif, et la mission de saisir sur le vif l’esthétique de la pensée contemporaine. À Caroline Gaudriault d’en faire l’exégèse, en couchant sur le papier ses promenades crépusculaires dans une société en pleine mutation. Elle se confronte à des penseurs d’aujourd’hui et met en perspective une réflexion sur l’époque et une vision personnelle et poétique de la modernité. Il transpose ses réponses, des pensées traduites en images, en sensations et en émotions.
Plus de quinze années ont passé depuis que ce duo, fantasque et génial, a décidé, par la grâce d’on ne sait quoi, de s’unir. Il y a eu la Trilogie des modernes, un long cheminement qui s’était achevé sur le Festin des barbares où ils évoquaient alors les ayatollahs du Modernisme, de ceux qui poussent les limites en menant un combat idéologique. A small man in a big world est leur dernier engendrement, une supplique pour approfondir le mystère de l’homme nouveau. Composée d’œuvres photographiques de Rancinan et d’un essai poétique né d’une conversation entre Caroline Gaudriault et le penseur américain Francis Fukuyama, cette nouvelle exposition se veut un témoignage attentif, alerté et lucide du possible devenir du genre humain ; un cri d’alarme devant un monde à géométrie variable dans lequel l’homme est plus que jamais devenu petit. Sans céder au procès à charge contre la modernité, les deux artistes se contentent d’acter une contradiction évidente : celle, précisément, de la modernité contre elle-même ; un constat déjà posé par Nietzsche mais qui interroge plus que jamais, et pour cause.
À travers un voyage graphique minimaliste, quasi-monochromatique, dans l’épure de la ligne, de la couleur et de la forme, Caroline Gaudriault et Gérard Rancinan proposent un autre reflet du monde, avec ses indices, ses stigmates, ses références. Chacun peut alors se laisser aller à une intuition de l’avenir et l’envisager comme un évangile ou une apocalypse. Dans ce nouveau monde où il est désormais moins question d’humanité que de technique, les paris sont ouverts. L’homme entrera-t-il dans le culte d’une technicisation à laquelle il sera irrémédiablement asservi ? Ou bien comme une résurgence de l’équilibre de la terreur, la technique s’annulera-t-elle par elle-même ?
Lorsque l’on interroge Gérard Rancinan sur le sens des images qu’il offre aux spectateurs et sur l’inquiétude qui s’en dégage, le philosophe et le photographe se confondent : « Entre relativisme et déni de réalité, l’homme se laisse gagner par ses peurs tentant, autant que faire se peut, de les conjurer. Ses mots changent pour déplacer la réalité, comme on tente d’effacer un souvenir douloureux. Or, lorsque l’on gomme ses traces on ne peut plus avoir conscience ni connaissance de ce qui nous a précédé. Notre rôle est aussi de souligner les contradictions, les paradoxes, les dysfonctionnements de notre civilisation et de faire réapparaître une vérité déplacée, enfouie. Mais plus qu’un cri d’alarme, notre propos est aussi un cri d’espoir. A Small man in a big world est le théâtre d’un homme qui se répare, se régénère, se réinvente. En annonçant sa fin, Francis Fukuyama annonce aussi son renouveau. Mes images sont toujours reconnaissantes des possibles qui s’offrent à nous, en toute lucidité. » C’est que l’artiste repousse les limites, recherche la ligne essentielle entre l’homme et son monde, l’équilibre précaire d’une tension entre l’un et l’autre, parfois dans une relation harmonieuse, souvent dans une relation déstabilisante. Un bien grand défi dans un vaste monde qui vous donne rendez-vous le 25 avril prochain à la Galerie Valérie Bach à Bruxelles, à l’occasion de l’avant-première mondiale de l’exposition.
Exposition “A small man in a big world”
Du 25 avril au 21 juin 2014
Bruxelles – Galerie Valérie Bach, rue Faider 6, 1060 Bruxelles, Belgique
Tel : +32 (0)2 502 78 24.
Un petit homme dans un vaste monde – Caroline Gaudriault avec Francis Fukuyama – Editions Paradox.
*Photo : Gérard Rancinan.
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