Lorsque l’on débarque à Porto, deuxième ville du Portugal, c’est dans un aéroport flambant neuf, et visiblement surdimensionné au regard d’un trafic touristique plutôt maigre, même au cœur du mois d’août. Le métro qui conduit au cœur de la ville est rutilant, pourvu d’un système de billetterie ultra moderne. A côté, Roissy ressemble à un terminal du tiers-monde, et la RATP semble restée scotchée au usages du XXème siècle. Les autoroutes disposent, elles, d’un système de péage automatique : un portique flashe les voitures, et l’utilisateur reçoit ses factures à domicile, le touriste pouvant, lui, régler sa dette autoroutière chez n’importe quel commerçant disposant d’un terminal de paiement, et il y en a beaucoup.
Pourtant, dès que l’on quitte ces lieux qui doivent leur existence à l’injection massive de fonds structurels de l’Union européenne pour les régions déshéritées, on s’aperçoit vite que ces infrastructures luxueuses ne reflètent en rien la réalité économique du pays. Porto, en dehors de ses prestigieuses caves des maisons Sandeman, Cruz ou Ferreira est une ville lépreuse, avec ses quartiers historiques laissés à l’abandon et aux dealers. La campagne alentour n’est pas plus attirante, si l’on excepte quelques « quintas », fermes traditionnelles transformées en maisons d’hôtes.
Lisbonne peut encore faire illusion : l’exposition universelle de 1998 a transformé une capitale vieillotte en métropole post moderne. La plupart de visiteurs étrangers, d’affaires ou de tourisme, limitent leur séjour lusitanien à Lisbonne où aux plages ensoleillées de l’Algarve, et reviennent avec l’impression que le Portugal s’en tire plutôt bien dans ce monde de brutes. Comme la population locale est plutôt accueillante, passablement francophone, et ne cherche pas à arnaquer systématiquement l’étranger de passage, ce pays jouit d’une bonne réputation chez les Français. Ceux-ci sont à peu près les seuls à se rendre dans le nord du pays, les provinces de Minho ou de Tras-os-Montes, pour rendre visite à l’ancienne femme de ménage ou nounou de leurs enfants, rentrée au pays avec son mari maçon après des décennies de bons et loyaux services aux familles et à l’économie françaises.
Leurs demeures se repèrent vite dans les villages au milieu des maïs : elles affichent souvent des couleurs flashy et sont pourvues de signes extérieurs d’opulence, tourelles tarabiscotées, portails d’entrée ouvragés, arbres exotiques et statues néo-antiques dans le jardin.
Mais on peut faire des dizaines de kilomètres à travers ces régions sans rencontrer la moindre usine autre que celles transformant le maïs en nourriture pour le bétail. Celle-ci est destinée à des vaches de race Prime Holstein qui ne voient jamais la couleur d’un pré, et remplisse avec ardeur les quotas de lait accordés aux éleveurs par la déesse PAC, nouvelle Cérès dont la résidence n’est pas sur le mont Olympe, mais dans la morne plaine bruxelloise.
L’abandon de la polyculture vivrière traditionnelle de ces régions bien arrosées pour la monoculture du maïs a eu pour conséquence un déséquilibre accru de la balance commerciale du Portugal, aujourd’hui importateur net de denrées alimentaires.
Avant d’entrer dans l’Union européenne et d’adhérer à la zone euro, le Portugal, à peine sorti de la nuit salazarienne, bénéficiait de la compétitivité de son économie, due à des salaires inférieurs à ceux des pays du nord de l’Europe. L’industrie du cuir, notamment, lui permettait de satisfaire les besoins en chaussures de basse et moyenne gamme de notre continent. On délocalisait au Portugal des usines automobiles (Peugeot-Citroën) pour se rapprocher du marché ibérique qui rattrapait son retard d’équipement des ménages dans ce domaine.
Et puis, en 2002, l’euro a chassé l’escudo, et c’est ainsi qu’un pays de travailleurs zélés, économes de leurs deniers, se méfiant du crédit comme de la peste s’est peu à peu mué en un repaire de flambeurs invétérés, L’Etat n’étant pas le dernier à faire chauffer la carte bleue.
L’euro, pour le Portugal, c’était l’argent pas cher et le crédit à gogo. Alors que la production stagnait (bien avant la crise financière de 2008), la dépense publique s’envolait. La faible compétitivité de l’économie, plombée par l’euro fort, décourageait les investissements étrangers et détruisait inexorablement le tissu industriel portugais. De pays d’émigration, le Portugal est devenu un pays d’immigration, notamment de travailleurs venus d’Ukraine qui fournissent une main d’œuvre bon marché dans l’économie informelle.
Les Portugais, eux, restent au pays, même si les salaires restent bas en comparaison de ceux pratiqués en France ou au Luxembourg, leur destination préférée. Ils font comme l’Etat, ils s’endettent et construisent leur maison ou leur appartement sans avoir à subir les désagréments de l’exil.
L’euro était devenu une drogue dure qui avait pour conséquence de vous éloigner des dures réalités de l’économie réelle en vous emmenant dans les contrées imaginaires de l’argent facile.
Géographiquement périphérique, le Portugal ne bénéficie pas comme les pays d’Europe centrale de la proximité de puissances industrielles qui trouvent là des sous-traitants compétents et motivés. La Slovaquie ou l’Estonie peuvent se permettre l’euro, car leur économie est en symbiose avec l’Autriche, pour la première, la Finlande pour la seconde. D’autres, comme la République tchèque ou la Pologne se trouvent fort bien d’avoir conservé leur monnaie nationale qui leur permet d’ajuster finement son taux par rapport à l’euro pour rester compétitifs.
Les plus optimistes des Portugais se voient sortis d’affaire dans trois ans, après une sévère cure de désintoxication de l’addiction à la dépense publique et privée. C’est tout le bien qu’on leur souhaite, car ce peuple, à la différence d’un autre qui se reconnaîtra, n’a pas fait de l’arnaque généralisée un sport national.
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