Un malaise, puis très vite, de la colère. Voilà ce que j’ai ressenti le 14 août en lisant un article du JDD nous annonçant la mise au point imminente de tests sanguins permettant de connaître, au bout de sept semaines de grossesse seulement, le sexe de son futur enfant. Alors que jusque-là, c’était lors de l’échographie du premier trimestre[1. Et encore faut-il que le bébé ne soit pas trop cachottier et ne se tourne pas de manière à ce que le suspense se prolonge jusqu’à la prochaine visite chez le gynéco.] que l’on pouvait savoir si la chambre serait peinte en rose ou en bleu, ce test, qui coûterait 200 euros en moyenne aux futurs parents, serait ainsi réalisable bien avant l’échéance des douze semaines, délai légal pour avorter.
J’ai beau tendre l’oreille, je n’entends pas nos indignées féministes − chiennes de gardes ou « oseuses » de clitoris. L’idée que l’on puisse pratiquer une IVG parce qu’il y a déjà trop de filles (ou même trop de garçons) à la maison ne scandalise pas ces adeptes du genre.[access capability= »lire_inedits »] Mais entre le partage des tâches ménagères et la rééducation des hommes − et des femmes − qui ne connaissent pas toutes les potentialités du clitoris, elles ont sans doute trop de chats à fouetter. Il est même possible que cet article les indigne parce qu’elles y détecteront une tentative subreptice de remettre en cause le droit des femmes à disposer de leur corps. Or, c’est tout le contraire. Tirer la sonnette d’alarme, c’est être un défenseur conséquent du droit à l’interruption volontaire de grossesse tel qu’il a été énoncé par la loi Veil.
N’en doutons pas, ce test en annonce d’autres. Interrogé par le JDD, François Olivennes, gynécologue spécialiste de la fertilité, le reconnaît sans peine : « La perspective de pouvoir faire un diagnostic génétique du fœtus précocement, sans acte invasif chez la mère comme une amniocentèse, est révolutionnaire». L’étape d’après, se sera la photographie extérieure et intérieure du futur bébé. Et la possibilité de mettre fin à la grossesse si, d’aventure, il ne correspond pas au cahier des charges imaginé par les géniteurs. « Attention, c’est aussi la porte ouverte au danger de l’eugénisme », ajoute le professeur Olivennes. Mais on est en plein dedans, cher Monsieur ! L’exemple du dépistage de la trisomie 21 est éclairant. Depuis 1999, 75 % des femmes demandent le dépistage, ce qui a conduit à l’avortement de 95 % des fœtus trisomiques diagnostiqués. Certes, on ne se permettra pas de juger le choix de futurs parents confrontés à une réalité aussi terrible. Dans ce cas, la possibilité de dépistage peut-être considérée comme un progrès – même si elle laisse de côté d’insondables questions métaphysiques. Mais on imagine sans peine les conséquences qu’aura le développement de tests permettant de dépister, avec une seule goutte de sang de la mère, des affections plus bénignes, voire de connaître à l’avance, non seulement le sexe de l’enfant à naître mais aussi ses caractéristiques physiques – et pourquoi pas, psychiques. Aura-t-il les oreilles décollées ? Sera-t-il porteur d’une maladie génétique ? Alcoolique ? Potentiellement violent ? Aura-t-il un micro-pénis ? Quelles seront ses chances de faire l’ENA ou l’X ?
Le mot « eugénisme » fait horreur, et à raison, depuis la Seconde Guerre mondiale, mais on dirait que la chose suscite moins de craintes. Or, la société eugénique se met en place, petit à petit, et pas sous des régimes rappelant les heures les plus sombres de notre histoire, mais dans nos démocraties qui portent leurs bons sentiments en bandoulière. On me dira qu’il n’y a aucun rapport entre la sélection des êtres humains et la possibilité offerte à des parents de choisir le sexe de leurs enfants dans le but assez innocent de « varier les genres » − que l’on souhaite avoir des garçons et des filles n’est évidemment pas scandaleux. Sauf qu’on ne s’arrêtera pas là. Voilà pourquoi je souhaite l’interdiction de ce test.
Je vois venir les objections. Si la France l’interdit, les Françaises iront se faire dépister à l’étranger ou achèteront sur Internet des tests à effectuer soi-même. En somme, on pourrait punir le tourisme sexuel, fermer des sites internet qui font la promotion de la pédophilie ou du nazisme, sanctionner un internaute qui télécharge une chansonnette et on serait impuissants face à des pratiques eugéniques ? Peut-être faut-il en conclure que nous sommes prêts à les tolérer au nom du droit de chacun à se faire plaisir en toutes circonstances.[/access]
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