Comment lire, ou relire, Thoreau en 2015 ? L’homme a été tellement dévoyé ! Et son propos si réduit ! Notamment par les écologistes qui voient en lui le précurseur qu’il ne fut pas…
Rappel des faits, pour les réfractaires à la culture américaine. Entre 1845 et 1847, le philosophe américain Henry David Thoreau, vécut seul, sauf pour quelques visiteurs occasionnels, dans une cabane de 13 m², qu’il avait lui-même bâtie, dans les bois du Massachussetts, près d’un étang appelé « Walden Pond». De cette expérience il tira un livre Walden ou la vie dans les bois, publié en 1854, et devenu un classique de la littérature américaine.
Le livre raconte par le menu son mode de vie, ses journées de solitude et les méditations qu’elles lui inspiraient. Le récit minutieux de ses activités, qui détaille ses dépenses, ses bains dans les étangs, ses parties de pêche, ou la culture des haricots, est entrecoupé de rêveries, et de réflexions philosophiques, inspirées aussi bien des deux Testaments, que des philosophes grecs et de la Bhâgavata Gita,.
Un siècle plus tard Walden devint une sorte de bible pour les poètes et les adeptes de la « Beat Generation » – Jack Kerouac se livrant à une expérience similaire sur la côte ouest des Etats-Unis qu’il relata dans son livre Big Sur – puis pour la génération « hippie » des années soixante en rupture avec la société de consommation. Thoreau a aussi été récupéré par les écologistes qui voient en lui un poète de la nature, vantant « la simplicité et la sobriété de la vie des hommes dans les temps primitifs » parce qu’elle ne « cessait jamais d’être en contact avec la nature ». Mais cette lecture est partiale et trompeuse.
Chez Thoreau, la nature n’est pas une fin. C’est un moyen visant à recréer l’unicité perdue de l’homme, loin de l’influence corruptrice de la « civilisation». Et, au contraire des écolos, qui veulent imposer leurs choix aux autres, la démarche de Thoreau est personnelle et individualiste. Il ne veut « à aucun prix » qu’un autre « adopte son mode de vie » et souhaite au contraire « un monde de gens nombreux aussi différents que possible ».
Son long séjour dans les bois, se voulait une célébration du retour, non pas tant à la nature, qu’à la vraie vie, à l’essentiel, face à l’aliénation (déjà !) du monde « moderne ». « Je m’en allai dans les bois parce que je voulais faire face seulement aux faits essentiels de la vie, découvrir ce qu’elle avait à m’enseigner, afin de ne pas m’apercevoir à l’heure de ma mort que je n’avais pas vécu. » Thoreau observe ses contemporains s’engager (déjà !) dans une course folle, que les sociologues appelleront « rat race », la course du rat, pour l’accumulation de biens inutiles. Pour lui l‘homme a quatre besoins : « nourriture, abri, vêtement et combustible ». Il dénonce « l’illusion du progrès », qualifiant les inventions de son époque de « jouets amusants » qui « empêchent notre attention de s’attacher aux choses sérieuses. ».
Walden ou la vie dans les bois est réédité aujourd’hui avec une préface signée Michel Onfray. C’est un choix surprenant mais stimulant : le prophète de l’hédonisme matérialiste est loin du contemplateur solitaire que fut Thoreau. Mais Onfray fait ici œuvre pédagogique. Son texte replace Thoreau dans son contexte historique et offre une grille de lecture claire. Thoreau partage ainsi avec l’auteur du Traité d’Athéologie, le rejet du Dieu du Livre: « Nos mœurs se sont corrompues au contact des Saints. Nos recueils d’hymnes résonnent de la mélodieuse malédiction de Dieu, à quoi il faut se soumettre.» Mais Thoreau n’est pas athée. Il croit à une étincelle divine contenue dans chacun de nous. Libre à soi de la faire briller. « C’est seulement le jour où nous nous éveillons qui a la clarté de l’aube.»
Walden où la vie dans les bois, Henry David Thoreau, préface de Michel Onfray, Flammarion.
Vivre comme un Prince, Henry David Thoreau, préface de Michel Onfray, Flammarion.
*Photo : wikicommons.
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