Une vidéo « odieuse et stupide » diffusée par la chaîne des cathos, selon Aurélien Marq.
Dans une série de petits clips intitulée « 3 minutes catechism », et présentée comme « un dessin animé qui met les enseignements de l’Église à la portée de tous », la chaîne catholique KTO explique doctement que l’athéisme conduit inéluctablement au totalitarisme, et l’illustre à grands renforts d’images de l’Allemagne nazie !
Passée globalement inaperçue jusqu’à maintenant, la vidéo en question a déjà deux ans. Il serait donc tentant de hausser les épaules et de passer à autre chose.
Hélas, l’actualité récente nous rappelle douloureusement que des menaces planent sur la liberté de conscience, et que trop de gens tendent à la confondre avec la liberté de culte, et à les faire passer l’une et l’autre pour le droit de s’affranchir de la loi commune au nom de la religion. Ces manœuvres doivent être dénoncées, d’où qu’elles viennent, et à ce titre le clip de KTO est tristement révélateur.
Plus encore : en diffusant l’idée selon laquelle l’athéisme aboutirait forcément à un totalitarisme de type nazi, une telle vidéo refuse l’idée même de la recherche commune de l’intérêt général, fondement de la République, pour ne reconnaître comme légitimes que les normes religieuses.
Réécriture de l’histoire
En découvrant ce court métrage, j’ai d’abord pensé à un extrait sorti de son contexte, volontairement instrumentalisé, contre une chaîne que je connaissais par ailleurs pour donner la parole à des intervenants de haut niveau et de grande qualité (Philippe Capelle-Dumont, par exemple). Je me trompais. Et la vidéo complète, par bien des côtés, est encore pire que ce qui a d’abord été critiqué sur les réseaux sociaux.
Sa conclusion, évidemment, est à la fois odieuse et stupide. Elle énonce que : « Au fond il n’y a que 2 possibilités : Dieu existe, et alors il y a une morale obligatoire, ou bien Dieu n’existe pas, et alors c’est la loi du plus fort. » Puis, sur fond d’images du Führer, de défilés militaires, d’exécutions et de violences : « L’Homme, dans le matérialisme, n’a pas de valeur absolue. Sa vie n’est pas sacrée. Le faible devient toujours le jouet du plus fort. (….) Il n’y aura ni justice ni injustice, il y aura seulement le vouloir du plus fort. Et donc l’homme sans Dieu perd toute son humanité. »
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Cette partie du clip est pure manipulation.
Parmi ceux qui ont servi les grands totalitarismes du XXè siècle comme parmi ceux qui les ont combattus, on trouve des athées, des agnostiques, et des croyants de bien des religions différentes. Illustrer ainsi « l’athéisme à l’œuvre » est d’une malhonnêteté crasse, une réécriture de l’histoire tellement flagrante qu’il est difficile de croire à une erreur de bonne foi.
Confusion et oubli du droit naturel
Mais il n’y a pas que les images qui posent problème. Que des croyants critiquent l’athéisme est naturel. Plusieurs de mes amis athées ont d’ailleurs déjà subi de longues dissertations de ma part sur ce thème ! Mais nous avons échangé des arguments, des ressentis, des intuitions. Nous nous sommes toujours attachés à prendre ces débats au sérieux, même lorsque nous y glissons un humour salutaire, et donc à être aussi rigoureux que possible. Or, dans le clip de KTO, il n’y a que confusion.
Confusion, d’abord, entre athéisme et matérialisme. On peut croire en l’existence d’un ou plusieurs dieux tout en considérant qu’ils ont nécessairement une existence matérielle (ce fut jadis le cas des épicuriens, par exemple). On peut aussi croire en l’existence de forces spirituelles impersonnelles, et même en l’immortalité de l’âme, sans croire en l’existence de divinités : nombre d’athées adhèrent à l’idée d’un « principe organisateur », d’une « harmonie cosmique », assez proche du Tao, du Musubi shintô ou du Brahman hindou, mais trouvent la notion d’un dieu personnel parfaitement incongrue.
Confusion, aussi, entre le droit naturel et le droit divin. Rappelons qu’il existe, en gros, trois visions de ce qui fonde la distinction entre le Bien et le Mal. Le droit divin, pour lequel Dieu décide de ce qui est bien et de ce qui est mal. Le droit naturel, pour lequel les actes sont bons ou mauvais peu importe ce que quiconque, humain ou divin, peut en penser. Le droit positif enfin, pour lequel les sociétés humaines décident du bien et du mal pour s’organiser et définir leurs lois. Sur ce sujet, je recommande au lecteur curieux les travaux de Rémi Brague – prêtre catholique, et dont les œuvres sont pourtant radicalement opposées aux propos de la vidéo de KTO.
On peut aussi obéir aveuglément à Dieu
Ce clip oppose le droit divin au droit positif, affirmant que l’athéisme et le matérialisme conduisent nécessairement au triomphe du droit positif, dont il montre l’arbitraire. Ce faisant, il oublie que le droit divin n’est qu’un cas particulier de droit positif, un cas particulier de la loi du plus fort, Dieu jouant le rôle de la grosse brute dont la puissance insurpassable « met tout le monde d’accord ».
Il oublie aussi le droit naturel, qui postule l’existence du bien et du mal indépendamment de la volonté de quiconque. Dans cette optique, le divin n’a pas le pouvoir de décider du bien et du mal comme le prétendrait un despote capricieux, mais la sagesse de les connaître, et l’organisation des sociétés humaines recherche librement la transcription juridique opportune de ces principes intangibles. A l’arbitraire du droit divin – loi du plus fort – comme à l’arbitraire du droit positif – consensus culturel du moment – le droit naturel oppose la recherche commune du Vrai, du Beau, du Bien.
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Une fois clarifiée cette distinction, la question qui se pose est celle de la capacité humaine à tendre vers la vérité. Et là, force est de constater que des athées peuvent faire preuve d’un sens moral des plus élevés, et des croyants d’une absence cruelle de toute véritable éthique. J’irai plus loin : l’habitude de se plier à une loi supposée d’origine divine tend fréquemment à estomper le sens moral au profit de l’obéissance aveugle, alors qu’en l’absence de toute loi révélée l’homme qui fait le choix de l’éthique s’oblige à penser par lui-même et à décider en assumant pleinement toutes les conséquences de ses actes. Face au jugement de notre propre conscience, il est inutile d’espérer nous réfugier derrière l’excuse lâche du « je n’ai fait qu’obéir aux ordres ». Même si nous pensons ces ordres d’origine divine, l’obéissance est et demeure un choix : être convaincu que Moloch existe et que son avidité est réelle ne donne pas le droit de lui sacrifier son enfant.
Plus encore, si l’on croit que l’Homme est œuvre ou enfant du divin, n’est-ce pas une étrange vision de ce divin que de supposer qu’il a créé ou engendré l’Homme dépourvu de sens moral ? Une chaîne catholique devrait garder à l’esprit la Genèse (1:27) : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ». Est-ce compatible avec l’hypothèse d’un Homme foncièrement incapable de tendre par lui-même à l’éthique ? Que les croyants y réfléchissent : nier la conscience morale de l’Homme, c’est rabaisser Dieu.
Trop facile de vilipender KTO ?
« L’homme sans dieu perd toute son humanité. » affirme la vidéo. Seuls des dieux bien vaniteux pourraient considérer que la vertu cardinale de l’homme serait de croire en leur existence, dès lors, contrairement à KTO, je me garderai bien d’assimiler « athée » et « homme sans dieu ». Si les dieux sont bons et justes, alors un athée qui lutte pour la justice a sans nul doute les dieux à ses côtés – et qu’il s’en rende compte ou non, qu’il y croit ou non, n’est pas l’essentiel. En revanche, un croyant commettant les pires injustices au nom des dieux aura beau les prier en respectant chaque détail du rituel, ils se détourneront de lui. Le véritable homme sans dieu n’est pas l’athée, mais celui qui a renoncé à tendre vers la vérité, la beauté, la bonté, y compris s’il y a renoncé au nom de l’obéissance à ce qu’il imagine être une loi divine.
J’entends ceux qui me diront que critiquer une vidéo d’une chaîne catholique en France revient un peu à frapper un homme à terre. Qu’il est vain de dénoncer les échos d’une vieille tentation théocratique chrétienne, politiquement inexistante ou du moins résiduelle. On peut apostasier le catholicisme sans être harcelé ni agressé, on peut critiquer ou même injurier le catholicisme sans être en danger de mort, et ce n’est pas rien. Arguments de bon sens. Et pourtant.
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Notre société connaît aujourd’hui une crise profonde. Elle ne pourra la surmonter qu’en retrouvant le sens de ce qu’elle est : République Française. Ni France éternelle plus ou moins fantasmée, ni République hors-sol déconnectée de l’histoire de France et du peuple français, mais rencontre de l’idéal républicain et de la France. Et cette rencontre est indissociable d’une culture et d’une civilisation qui reposent sur trois piliers principaux : l’Antiquité, la Chrétienté, les Lumières.
Ne pas réveiller de vieux démons du christianisme
Or, la Chrétienté ne se limite de loin pas au christianisme, mais le christianisme en fait partie intégrante. Et si la laïcité s’assure – et c’est heureux – qu’il reste à sa place, il a néanmoins le devoir vis-à-vis de la France comme vis-à-vis de ses fidèles d’assumer dignement cette place. Cela ne consiste évidemment pas à céder aux diktats des idéologies à la mode et de l’air du temps – autre arbitraire – mais lui impose au minimum de défendre ses convictions avec rigueur, et dans le respect du cadre républicain auquel il doit se plier, comme n’importe quelle autre croyance ou idéologie. Qu’il veille à ne pas succomber à de vieux démons que l’on espérait définitivement vaincus.
Aujourd’hui comme hier, la seule distinction véritablement pertinente n’oppose pas les croyants aux athées. Elle oppose ceux qui défendent la liberté, la dignité et la responsabilité de l’Homme à ceux qui les menacent. Essayer honnêtement, en faisant usage de sa raison, de son intuition et de sa conscience, de servir le Vrai, le Beau, le Bien, est infiniment plus important que de savoir si on le fait au nom d’un Dieu, de l’Humanité, d’un idéal abstrait ou simplement par grandeur d’âme sans chercher à le théoriser.
Ce que l’on veut défendre en se battant est plus important que l’étendard que l’on brandit pour le faire.
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