D’après un sondage Ifop-CNews-Sud Radio, les Français n’ont jamais été aussi favorables à l’ouverture de la PMA aux couples homosexuels (65%) et à la légalisation de la GPA (50%). Pour comprendre les tenants et aboutissants de l’évolution de l’opinion, Causeur a interrogé François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop . Entretien.
Daoud Boughezala. L’extension de la PMA voire la légalisation de la GPA sont-elles déjà entrées dans les mœurs ?
François Kraus. Disons qu’au regard de notre dernière enquête publiée sur le sujet, jamais le degré d’adhésion des Français à ces deux formes d’homoparentalité n’a été aussi élevé. Réalisée en pleine polémique autour d’une circulaire devant favoriser la reconnaissance des enfants nés d’une GPA à l’étranger et des préparations du débat parlementaire sur la PMA, la dernière enquête de l’Ifop met en lumière un soutien massif de la population au respect de cette promesse de campagne d’Emmanuel Macron : plus de deux Français sur trois se disent aujourd’hui favorables à l’élargissement de la PMA et ceci que ce soit aux couples de lesbiennes (à 65%) ou aux femmes célibataires (à 68%). Quant à l’adhésion à la GPA pour les couples gays, elle atteint également un niveau record avec un taux de 50%.
Il est vrai que depuis le débat autour de la loi Taubira (2012-2013), l’opinion publique s’est spectaculairement décrispée sur le sujet. Comme pour le PACS où une fois la loi votée, on avait pu observer une explosion du taux d’adhésion des Français à un contrat d’union civile (+21 points d’adhésion entre septembre 1998 et juin 2003), l’acceptation de l’homoparentalité féminine s’est banalisée à une vitesse grand V. En à peine six ans, le niveau d’adhésion à l’ouverture de la PMA a ainsi bondi de 18 points pour les couples lesbiens (à 66%) et de 11 points pour les femmes célibataires (à 68%). Et le différentiel d’adhésion en défaveur des couples lesbiens – qui constitue en soi un indice de l’homophobie cristallisée par ce sujet – a aujourd’hui presque totalement fondu : il n’y a plus que 3 points d’écart entre le taux d’adhésion à la PMA pour les couples de femmes et celui pour les femmes seules, contre 10 points d’écart en janvier 2013 et 27 points en 1990.
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De même, et contrairement aux idées reçues, les Français ne sont pas majoritairement opposés au principe de la GPA. Ils soutiennent même largement son recours aux couples hétérosexuels (à 66%). Ils sont en revanche plus partagés pour son autorisation aux couples gays (50%), signe que son rejet est plus lié à l’orientation sexuelle du couple qu’à des problématiques éthiques telles que la marchandisation du corps.
Ainsi, il faut bien avoir en tête qu’avec l’extension de la PMA qui constitue le projet phare de sa loi de bioéthique, le législateur ne fait que sanctionner l’évolution des mentalités, pas la précéder…
Pourtant, ce sujet a été beaucoup mis en avant par la Manif pour tous, laquelle dénonçait la spirale anthropologique ouverte par le mariage et l’adoption homosexuels…
A mes yeux, ces associations en pointe dans la lutte contre les avancées en matière d’homoparentalité sont pénalisées par le fait que le dossier de la PMA a été jusque-là disjoint de celui de la GPA. Contrairement au débat autour de la loi Taubira qui avait été « plombé » par la question de l’adoption – alors que l’adhésion au mariage des couples homosexuels était, elle, restée forte et relativement stable tout le long des discussions parlementaires -, une loi sur l’élargissement de la PMA à toutes les femmes laisse aujourd’hui peu le flanc à la critique.
Cela tient sans doute au fait que la PMA répond à un désir d’enfant des femmes. Or, la maternité étant consubstantielle de la féminité dans l’esprit de la plupart des gens, il est difficile de s’y opposer, notamment si elles portent elles-mêmes l’enfant et que ce dernier est le produit de leurs propres gamètes.
Le fait que la plupart des opposants insistent d’ailleurs sur le risque de légalisation de la GPA que ferait courir l’élargissement de la PMA à toutes les femmes est d’ailleurs le signe que les arguments contre la PMA en elles-mêmes (remboursement, pénurie de sperme,…) peinent à percuter.
Si on rajoute à cet état de l’opinion l’affaiblissement sans précédent de la droite parlementaire et la décrédibilisation du discours de l’Eglise liée aux multiples affaires de pédophilie, le risque que fait peser sur le gouvernement le vote de la PMA ne peut être que plus faible que la loi Taubira pour le gouvernement Hollande.
Les manifestations contre la loi Taubira avaient mobilisé de nombreux jeunes conservateurs, principalement catholiques. Néanmoins, votre enquête démontre un soutien écrasant de cette génération aux réformes bioéthiques. La Manif pour tous a-t-elle été un miroir déformant de la jeunesse ?
Absolument. Les jeunes intellectuels de droite catholique conservateurs qui ont émergé politiquement et médiatiquement à cette époque n’étaient pas du tout représentatifs de la jeunesse de France sur ces questions puisqu’on le voyait déjà à l’époque sur le mariage et l’adoption, la jeunesse se distinguait très nettement de la population par un soutien massif mais aujourd’hui encore, cinq ans plus tard, nous avons 8 jeunes sur 10 favorables à la PMA pour les couples lesbiens (82%), et 7 sur 10 à la GPA pour les couples gays (70%). Les jeunes conservateurs incarnent donc un certain renouvellement de la droite intellectuelle française, mais leur poids politique n’est pas du tout représentatif de leur génération.
Grosso modo, plus on est jeune, plus on approuve la PMA et la GPA pour tous ?
Comme pour toutes réformes sociétales reposant sur le principe de libéralisme culturel ! En effet, on observe chez les jeunes une plus grande acceptation sociale de l’homosexualité inhérente a la progression des valeurs « post-matérialistes », l’amélioration du niveau d’éducation et la perte d’influence des valeurs morales d’inspiration religieuse.
Ainsi, il y a deux fois plus de jeunes (70%) que de séniors (33%) favorables à la GPA. Aujourd’hui, le renouvellement générationnel se traduit sur ces sujets par une forme de « grand remplacement idéologique » aux dépens des thèses de la Manif pour tous et des associations opposées à l’homoparentalité. Pour illustrer cette dynamique, je dirais que chaque année, meurent des électeurs âgés de tradition catholique naturellement hostiles a l’homosexualité et a fortiori a l’homoparentalité, et qu’ils sont remplacés par des jeunes post-adolescents largement ouverts à ces différentes formes d’homoparentalité. Dans ces jeunes générations, la Manif pour Tous a perdu la bataille culturelle tant sur la PMA aux lesbiennes que sur la GPA aux gays.
Affinons un peu ce diagnostic global. Sur la question de l’homoparentalité, le clivage droite/gauche reprend-il son sens ?
Si l’opinion française a évolué dans le sens d’une plus grande acceptation de l’homoparentalité (adoption homoparentale, PMA pour les couples lesbiens, GPA pour les couples gays), il subsiste toujours des poches de résistance dans les catégories de la population les plus âgées, les moins diplômées et les plus influencées par la religion. Ainsi, l’idée d’un élargissement de PMA suscite moins d’adhésion dans les électorats ou ces catégories de la population sont les plus répandues.
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Sur le plan politique, c’est donc dans les rangs des sympathisants des partis de la droite classique (Les Républicains, Debout la France) que l’on trouve toujours le plus d’opposants à cet élargissement de la PMA, alors que l’électorat lepéniste, beaucoup plus jeune et éloigné de la religion, se montre, lui, plus partagé sur ces sujets. En effet, si l’idée d’une autorisation de la PMA pour les couples gays est nettement minoritaire chez les sympathisants LR (23% y sont favorables), les électeurs du FN s’avèrent plus partagés sur ce sujet (46%).
L’isolement actuel de l’électorat LR sur ces sujets est d’autant plus fort que la fraction la plus ouverte à la mondialisation, à l’Europe et sur les questions de société a rallié Emmanuel Macron au dernier scrutin européen. Aujourd’hui, l’électorat LR étant plutôt rural, âgé, avec un niveau socio-culturel faible, il est logiquement très hostile à ce projet.
Du côté des électeurs RN, l’opposition à la PMA et à la GPA se révèle beaucoup moins nette que chez LR. Cela condamne-t-il par avance la stratégie d’union des droites chère à Marion Maréchal ?
Disons que pour s’unir, il faut être deux. Or, à LR comme au RN, on a pu observer la mise en retrait des instances dirigeantes de la plupart des personnalités qui avaient pu se faire les porte-drapeaux des associations opposées à la loi Taubira (par exemple Marion Maréchal-Le Pen, François Fillon, Hervé Mariton, Nicolas Sarkozy, Christine Boutin, Laurent Wauquiez…). Certes, il reste dans chaque formation de droite des personnalités connues pour leur opposition à toute avancée en matière d’homoparentalité (ainsi chez Les Républicains, Jean-Christophe Poisson au Parti chrétien-démocrate, Nicolas Bay au Front national…) mais elles n’ont pas la même notoriété ou la même surface politique que leurs prédécesseurs.
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Ainsi, il ne me semble pas que sur ce sujet, les opposants à la PMA disposent d’autant de relais dans ces partis que dans le passé. C’est notamment le cas aux Républicains où la direction avait clairement pris certaines distances avec Sens commun suite aux propos de son président sur une éventuelle « plateforme » commune avec Marion Maréchal-Le Pen.
Le peu d’entrain de la plupart des cadres LR à batailler sur l’extension de la PMA s’explique peut-être aussi par leur volonté de ne pas se cantonner au réduit bellamyste de 8%…
Bien entendu. Fillon était déjà plutôt conservateur mais une partie des électeurs a rejoint Macron. Avec Bellamy, une part non-négligeable de l’électorat LR s’est volatilisée. Dans ce cadre, on peut penser que s’ils ne veulent pas s’isoler politiquement en apparaissant comme la courroie de transmission de la Manif pour tous, comme la voix d’une partie de la population à la fois très minoritaire, conservatrice et réactionnaire, une grande partie des leaders ne voudra pas apparaître trop en pointe sur ce type de sujet d’autant plus que les sondages les mettent clairement en minorité. La seule solution aujourd’hui pour eux, pour être cohérents, c’est de s’en prendre à la GPA.
Puisque la PMA est largement acceptée, la GPA sera-t-elle la prochaine bataille sociétale ?
Probablement mais pas à court terme. Le gouvernement a démenti toute forme de légalisation de la GPA à l’étranger mais la majorité LREM vient de brouiller ce positionnement avec ce projet de circulaire régularisant la situation des enfants nés par GPA à l’étranger. Tout l’enjeu de la Manif pour tous dans ce débat sur la PMA sera de communiquer sur la suite logique qui est la GPA car ils savent que l’opinion est beaucoup plus mitigée sur le sujet. Depuis octobre 2014, la proportion de personnes favorables à la GPA pour les gays a progressé de près de dix points. C’est considérable. Si l’on continue comme ça, dans cinq à dix ans, il pourra y avoir une majorité confortable de Français favorables à la GPA.
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