Dans « Pieces of a Woman », le film canadien de Kornél Mundruczo, nous suivons un couple qui a décidé d’un accouchement à la maison. Le film réussit à traiter le sujet terrible de la perte d’un enfant et à nous émouvoir, sans en faire trop.
Dans le menu de mon application Netflix, j’ai longtemps tourné autour de Pieces of a woman avant de le visionner. Ce film du réalisateur hongrois Kornél Mundruczo est un des plus regardés sur la plateforme en ce moment. Il montre la descente aux enfers d’un couple qui perd son enfant à la naissance. Sujet ô combien vertigineux et périlleux!
C’est l’histoire du réalisateur et de son épouse. Terrassés par la douleur, ils se sont longtemps murés dans le silence « jusqu’à ne plus pouvoir le supporter ». L’épouse du réalisateur a d’abord exorcisé son drame à travers l’écriture d’une pièce de théâtre. Elle a servi de base à Mundruczo pour son film. « Avec Pieces of a woman c’est un peu comme si je disais: « voici ce que je suis », a-t-il déclaré. Je ne regrette pas d’avoir surmonté mon émotivité, car Pieces of a woman réussit l’exploit d’à la fois maîtriser le pathos et s’y de laisser subtilement aller.
Un futur père débordant d’enthousiasme et une compagne un peu absente
Vanessa Kirby (Margaret dans « The crown », saison 4 chroniquée ici) et la star hollywoodienne Shia LaBeouf campent à merveille un couple bourgeoise/bad boy dont on s’aperçoit depuis le début qu’ils sont déjà dans deux univers parallèles. Elle est cadre, lui chef de chantier, mais surtout (le film débute à la fin de la grossesse) la future mère semble un peu absente, comme coupée de sa grossesse, alors que le futur père fait preuve d’un enthousiasme débordant. Ils habitent la très WASP ville de Boston, qui pendant tout le film nous semble fort grise, noyée sous une pluie que l’on imagine glaciale et qui transperce les os du spectateur. Cette atmosphère évoque Manchester by the sea, un autre film traitant de la mort et d’un corps qui reste longtemps sans sépulture.
Pieces of a woman oscille entre le réel et la distanciation de celui-ci nécessaire pour le rendre supportable. La terrible scène de l’accouchement est esthétisée – nous ne sommes pas dans une télé réalité – avec des ralentis ou des plans fixes sur le visage de la parturiente perdue dans sa souffrance. Elle n’arrive ni à se raccrocher à son conjoint, ni à la sage femme qui sera bientôt sur le banc des accusés.
Des symboles un peu lourds ?
Martha n’arrive pas à prendre possession de cette naissance qui va lui échapper pour toujours. C’est certainement pour cette raison qu’elle désire dans un premier temps léguer le corps de son bébé – qui n’aura vécu que quelques minutes – à la science. Il faut que ce bébé n’existe jamais.
D’aucuns affirmeront que le réalisateur use et abuse de clichés symboliques ayant trait à la naissance, à la vie, à l’éclosion. Par exemple, celle qui n’est pas devenue mère fera germer des graines dans du coton ou se nourrira de pommes… Mais « il vaut mieux partir du cliché que d’y arriver » disait Orson Welles, chose que le grand Flaubert savait aussi.
Le délitement du couple sera ensuite rapide. Elle est murée, il est seul dans sa douleur qui déborde. La fin est symbolisée dans un rapport sexuel maladroit. Sean essaie de pénétrer sa femme à travers son pantalon, qu’elle refuse de retirer. Le personnage principal veut faire cavalier seul dans cette épreuve. Ni sa mère, matriarche hystérique qui demande réparation en attaquant la sage femme, ni son conjoint réduit en miettes ne réussissent à la retenir dans une forme de vie. Pendant ce temps, les journées d’hiver défilent, toujours aussi glaciales et grises.
Un procès libérateur
C’est le procès qui redonnera cependant un peu de vie à Martha. En racontant les faits, en se remémorant son chemin de croix, elle se souvient des photos argentiques que son conjoint a prises du bébé avant qu’il ne meure. Ce visage qui lui apparaîtra enfin sur la pellicule la délivrera. Et elle pourra finalement répandre les cendres du nourrisson dans le fleuve. À Ushuaïa, au bout du monde, on dit qu’il faut jeter ses chagrins dans la mer…
Malgré quelques clichés, comme évoqué plus haut, ce drame sur la perte tragique d’un enfant à la naissance demeure délicat: chacun fait comme il peut.
Il existe un compte Instagram « Mort-né mais né quand même » où les parents postent des photos de leurs bébés. Voyeurisme morbide ? Peut-être, peut-être pas. Qui sommes-nous pour juger, comme on dit familièrement.
En 1973, Nadine Trintignant, qui aura vécu deux tragédies (elle a perdu un enfant à l’âge d’un an), réalisa « Ça n’arrive qu’aux autres » avec Deneuve et Mastroianni. À la différence de « Pieces of a woman » le chagrin y soude le couple et lui permet de s’y enfermer avant de prendre la route. Dans le dernier plan du film, on les voit même danser au son du « Temps des cerises ». De son côté, « Pieces of a woman » se clôture sur une rêverie. Une petite fille, dans une campagne verte et aveuglée par le soleil, (enfin) court et grimpe aux arbres. Comme si la vie finissait toujours par l’emporter.
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