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Knock: Omar l’a tuer

L'antiracisme, mais pas seulement


Knock: Omar l’a tuer
Omar Sy dans Knock de Lorraine Lévy (2017). Photo: CURIOSA FILMS / MOANA FILMS / MA / COLLECTION CHRISTOPHEL

Le propos politique de Knock ne se limite pas à la promotion de l’antiracisme à gros sabots. On y trouvera aussi un tas d’autres gadgets idéologiques en vogue: utilitarisme libéral, hygiénisme, néopuritanisme et, bien sûr, apologie de la transparence généralisée. 


L’histoire est connue : Knock, médecin douteux, s’installe au village, persuade tout un chacun qu’il n’est jamais qu’un malade en puissance et transforme l’endroit en hôpital à ciel ouvert. En 1923, Jules Romains préfigurait dans sa pièce la collusion entre médecine moderne et capitalisme, annonçant à la fois le règne des bobos et l’essor sans fin de l’industrie médicale. Qu’ajoute donc dans son dernier film Lorraine Lévy ? Elle exprime, un siècle plus tard, un air du temps américain, empreint d’utilitarisme libéral et d’un soupçon de particularisme racialiste.

Le bon sans la brute et le truand

Examinons pour ce faire ce qui ne se trouve pas dans la pièce. Il y a une jeune tubarde, Causette, exploitée par une fermière locale. Knock, amoureux, paiera son séjour en sanatorium (c’est la caution altruiste : charlatan peut-être, mais grand cœur). Il y a une nymphomane, épouse du pharmacien, qui le poursuit de ses assiduités. Il lui résiste (c’est la caution moralo-sexuelle : charlatan, sans doute, mais ne convoitant pas la femme de son voisin). Il y a un curé jaloux du succès de Knock, aigri, mesquin et lâche. Rance, synthétiseraient certains. Comme un seul homme, les villageois lui préféreront Knock (c’est la caution moralo-sociétale : sus au curé, à nous le progrès). Il y a un escroc surgi du passé qui tente de faire chanter Knock (c’est la caution par le contre-exemple : Knock, lui, n’est pas aussi méchant. Ce n’est pas un véritable escroc. C’est un enfant de la DDASS qui a pris sa revanche). Knock s’en débarrassera en lui collant une chiasse d’enfer, car la médecine moderne, outre qu’elle traite les malades imaginaires, sait aussi punir les méchants (c’est la justice par la scatologie, ce qui fait toujours rire les enfants).

Ces ajouts sont autant de gages donnés à une mièvrerie bien-pensante. Avant d’y revenir, notons d’abord que le biais narratif choisi (à mon sens, corollaire nécessaire du choix d’Omar Sy pour incarner Knock) témoigne en filigrane d’une obsession venue d’outre-Atlantique, obsession de la race, qui selon la doxa politiquement correcte aurait quelque chose à voir avec la moralité de l’individu. On ne peut s’empêcher de penser en effet que si Knock joué par Omar Sy est à l’opposé de ce qu’il est dans la pièce de Romains, à savoir un véritable escroc, c’est justement parce qu’il est noir. Est-ce à dire qu’un acteur noir ne pourrait incarner un rôle-titre lorsque celui-ci renvoie à un personnage uniment antipathique ? Ne pourrait-on imaginer que dans ce cas, une quelconque association antiraciste porte plainte pour insulte à l’image des « racisés » ? Ces derniers ne pourraient-ils pas légitimement se sentir offensés par un personnage de charlatan à la peau sombre dont n’émanerait pas une once de sympathie ? Ceci est possible, en effet.

Un Knock noir ne peut pas être méchant

Entendons-nous bien : le choix d’Omar Sy pour incarner Knock ne pose en soi aucun problème de crédibilité. Il pose en revanche question à cause de la distorsion essentielle que fait subir la réalisatrice à la pièce et au personnage par lequel elle existe. Omar Sy peut jouer Knock, mais à la condition que le personnage soit sympa. Qu’il ait souffert. Que ses malversations soient justifiées par un passé de victime. Lorraine Lévy, pour faire passer ce présupposé racialiste si américain, tente de le désamorcer par quelques répliques un peu étranges, censées sans doute nous rassurer sur le fait que nous sommes bien toujours en France, patrie des droits de l’homme, de l’universalisme, de la place du village et des nappes à carreaux : « Il est différent, hum hum, oui mais en quoi ? » s’interrogent sans fin les villageois, évoquant toutes les raisons possibles, à l’exception d’une seule, bien entendu, celle de la couleur de peau de Knock. Passons sur le magnifique déni de réel ici en jeu, et examinons le contresens majeur commis sur l’universalisme : l’universalisme ne réside pas dans la dénégation des différences, il ne se confond pas avec le postulat d’une identité physique, psychologique et intellectuelle entre les gens. L’universalisme est une vision morale et politique de l’homme, dont on affirme l’égalité en droit par rapport à la loi. Le véritable universalisme considérerait ainsi qu’un Knock noir pourrait, tout autant qu’un Knock blanc, être un charlatan vénal et rien que cela ; l’essentiel étant qu’il soit passible, pour les mêmes délits, des mêmes peines.

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Parallèlement se lit dans le film une autre confusion idéologique, selon laquelle le bonheur serait non plus une contingence individuelle, mais le résultat d’un certain mécanisme économique et social. Le propos de Lorraine Lévy est utilitariste : c’est justement la vénalité de Knock, parce qu’elle entraîne un effet positif sur la vie des villageois, qui va finalement constituer sa plus grande qualité. Certes, il les escroque bien, tous ces braves gens, et de cela, ils ne sont pas tout à fait dupes. Mais qu’importe ! clament-ils tous en chœur : le bon docteur nous rend tellement heureux !

L’avènement de la transparence sociale

Penchons-nous sur le bonheur ainsi vendu par Knock (mais soyons raisonnables et évitons le lumbago). « Je bois moins », dit le facteur poivrot. « Je me lave les dents », dit le marmot à casquette. « Mon mari a des érections », dit la femme ravie d’un péquin. Le bonheur moderne est donc question d’hygiène. Il est également gentiment puritain : les galipettes des clients de Knock ne sortent jamais du cadre sacré des liens conjugaux. Ce bonheur-là est par ailleurs accessible à tout individu ayant du bien. Si la femme nympho du pharmacien cesse de se jeter au cou de tout mâle passant à sa portée, c’est parce que son mari, rendu riche, lui a offert un beau chapeau. Ainsi apprenons-nous que la clé d’un couple heureux, c’est le pouvoir d’achat. Quant à la riche rombière du village, après avoir goûté aux joies du thermalisme, elle n’est plus que risettes et ravissement.

Nous pouvons donc en conclure trois choses : le bonheur, c’est d’être propre, d’avoir une vie sexuelle dans le cadre du mariage et de socialiser avec ses semblables. Mais ce bonheur présente une autre particularité : il relève d’un mode collectif de fonctionnement. La fin de règne du curé signe en effet non pas tant la libération des mœurs que l’avènement de la transparence sociale ; au secret de la confession, qui protégeait l’intimité du regard, doit succéder le grand déballage public de sa part d’ombre, de ses états d’âme, de ce linge sale qui auparavant se lavait en famille ou, le plus souvent, pas du tout. Hygiénisme du corps, hygiénisme de l’âme. Une communauté d’êtres limpides, dépourvus de secrets, ne peut qu’être harmonie. À la pénombre chafouine du confessionnal succède la transparence totalitaire, celle qui fait qu’on parle de soi à tous, et réciproquement. Comment le mal en effet pourrait-il exister dans une société où tout se sait ?

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Novembre 2017 - #51

Article extrait du Magazine Causeur




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Essayiste, journaliste, auteur de la newsletter https://annesophienogaret.substack.com/, décryptage des tactiques et de la rhétorique frériste

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