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Kissinger et moi


Kissinger et moi

Henry Kissinger

Henri Kissinger, d’abord, je le voyais nettement plus grand. C’est vrai qu’à force de le présenter comme un géant je m’étais imaginé une stature. Or c’est un petit bonhomme ventripotent qui entre dans le salon du Ritz, palace où il a ses habitudes lorsqu’il passe par Paris. Oui, Kissinger ne se refuse rien, il a donné quelques conférences à un million de dollars et à l’occasion conseille encore nombre de puissants, y compris Obama. Kissinger a été secrétaire d’Etat de deux présidents américains républicains, Nixon et Ford. S’il n’était pas né en Allemagne et naturalisé américain avec ses parents – la famille a fui le nazisme après la « Nuit de Cristal » -, il aurait eu toutes ses chances d’être élu Président. Il a dû se contenter des affaires étrangères et du prix Nobel de la Paix pour ses efforts au Vietnam, ce qui n’est pas si mal, comme disait Mitterrand à propos de Rocard.

Pourtant, évoquez cette rencontre, la plupart de vos collègues ne vous regardent pas avec envie mais comme si vous aviez rendez-vous avec Méphisto : on vous parle des bombardements contre le Vietcong et de leurs innombrables victimes civiles et, bien sûr, de l’opération Condor, dans laquelle Kissinger est soupçonné d’avoir trempé dans les années 1970. Condor est cette opération secrète d’élimination d’opposants de gauche latino-américains dans les pays ou ils s’étaient réfugiés, y compris aux Etats Unis. Kissinger est obligé de limiter ses déplacements à l’étranger car plusieurs ONG essaient de l’envoyer devant la Cour Pénale internationale. Peu de chance qu’ils y arrivent mais dès fois qu’un petit juge ambitieux veuille se faire de la pub en l’envoyant au trou comme Polanski, je vous laisse imaginer…

Donc je rencontre cet homme, digne continuateur de Bismarck dans la realpolitik moderne et oracle diplomatique. Je le trouve au Ritz en compagnie d’Hubert Védrine qui faisait partie des rares personnes dans la confidence. Normal, Védrine c’est un peu notre Kissinger à nous. Un pro. Pour lui aussi la diplomatie n’est affaire ni de droite ni de gauche, mais de réalités incontournables. Aucun principe aussi noble soit-il, (comme par exemple les droits de l’homme) ne saurait s’y substituer. C’est ainsi que tout anti-communiste viscéral qu’il fût, Kissinger devint un symbole de la détente et de la fameuse méthode des « petits pas » puis de la « shuttle diplomatie » qui fit beaucoup d’émules avec les progrès de l’aviation. Car Kissinger est tout sauf un néo-con. Il parle beaucoup par understatement, par litote. Mais tâchons de résumer sa pensée:

Il pense qu’il faut parler avec tout le monde et approuve par exemple la main tendue d’Obama aux Iraniens. Ce qui le chagrine ce n’est pas qu’il y ait une carotte, mais qu’on ne voie pas le bâton. Autrement dit que les Américains ne paraissent pas crédibles dans leurs menaces de rétorsion au cas où les négociations avec Téhéran sur le nucléaire échouaient. Préoccupation qu’il résume ainsi: « Il ne faut jamais que votre interlocuteur sente que vous êtes disposé à accepter finalement ce que vous qualifiez dès le départ d’inacceptable ». Et prend ça M. le prix Nobel à crédit !

Deuxième question : l’Afghanistan est-elle un nouveau Vietnam? Peut-être bien. D’une part, Kissinger pense qu’Obama n’a pas d’autre choix que d’écouter le commandant qu’il a lui-même nommé sur place, le général Mc Chrystal, et d’envoyer des renforts importants, à défaut de quoi les talibans interprèteront cette irrésolution comme un signe de faiblesse voire de défaitisme. D’autre part, il sait que la victoire militaire n’est rien sans l’appui de l’opinion publique. Au Vietnam nous avions presque gagné, dit-il, mais l’opinion ne soutenait plus l’effort réclamé. Le Watergate a fini de tout ficher par terre et a précipité la débâcle. Cette fois-ci les alliés des Américains ne se bousculent pas non plus pour les appuyer militairement (Sarkozy vient d’annoncer qu’il n’y aurait pas un soldat français de plus).
Conclusion: Obama a toutes les chances de se planter.

Mais Kissinger est aussi un grand conteur. Allez tonton Henry (86 ans) une anecdote pour finir sur la fin du mur de Berlin, il y a 20 ans déjà: « J’étais en Chine, ou je m’entretenais avec Deng Xiaoping. Tout semblait calme, mais Deng m’explique que le bloc communiste en Europe de l’Est est condamné parce que Gorbatchev a fait la glasnost (ouverture démocratique) avant la perestroïka (modernisation économique et sociale), et que les Chinois ne feront jamais la même erreur. Là-dessus je m’envole pour Hawaï, ou j’atterris quelques heures plus tard. Et j’apprends que le mur n’existe plus ! Il faut toujours faire très attention à ce que disent les Chinois. »



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Journaliste à France 24, auteur de <em>La France du Piston</em>.

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