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Un randonneur sur les sentiers de la gloire

Kirk Douglas (1916 – 2020)


Un randonneur sur les sentiers de la gloire
Kirk Douglas dans "Ace in the hole",1951, de Billy Wilder Photo: Wolf Tracer Archive / Photo12

La dernière légende d’Hollywood s’est éteinte à l’âge de 103 ans. Un bon bout d’âme d’Amérique qui s’en va…


Soleil noir, ce matin, sur le cinéma mondial. Hollywood pleure Spartacus. L.A a coupé le courant. Le Walk of fame ne brillera plus avec la même intensité. Van Gogh a remballé sa boîte aux mille couleurs. La Provence est en deuil. Les Vikings ne débarqueront pas ce soir à la télévision. Les cowboys ont dessellé. La ruée vers l’Ouest n’aura plus jamais le même parfum d’aventure.

Kirk, le fils du chiffonnier, a tiré sa révérence. Clap de fin d’une star quand ce mot avait encore une signification et un sens mythologique. Etoile immense, énorme, inimaginable même à l’heure des réseaux sociaux, au caractère d’acier, superbe tête de lard, admirable de tension, colérique en diable, séducteur insatiable, francophone de cœur, père d’une lignée devenue célèbre, ultime témoin turbulent d’un certain Âge d’or, celui des années 1950/1960 quand les studios dictaient leur marche au monde civilisé. Dans ce nouveau Babylone sur pellicule, sous la chaleur de la Californie, Kirk à la fossette en provenance d’Amsterdam, relevait la tête et donnait des coups. Il n’avait pas vocation à être le martyr des Majors, à devenir cette chair à filmer, malléable à souhait, dépouillée de toute dignité. À cette époque pas si lointaine, l’acteur était une chose. Petite chose qu’on sermonnait comme un enfant et, que trop souvent, on finissait par dresser comme un animal de compagnie. L’acteur était le maillon faible. Il était aux ordres des producteurs, des agents et la victime consentante des échotiers de caniveaux. Le scandale comme gagne-pain et la lumière des plateaux comme seul anxiolytique. Voilà à quoi ressemblait la vie dans la cité des anges.

Un volume entier de l’histoire du cinéma se referme

Kirk en a vu des centaines sombrer dans cette douce déchéance. Des acteurs ayant perdu toute volonté, jusqu’au goût de vivre, qui, pour séduire encore et toujours, étaient prêts à toutes les mascarades, à toutes les compromissions, se faire raboter le nez, charcuter la fesse ou bien pire encore. Avant de tenter sa chance aux Amériques, Kirk, seul homme parmi sept femmes (sa mère et ses six sœurs) avait enduré la froideur d’un père, l’espoir fou d’un geste de tendresse ou d’une approbation qui ne vinrent jamais. C’est le public grâce à une popularité planétaire qui lui donnera l’impression d’affection. « Il y a une colère en moi, ce n’est pas une question d’argent ou de succès, c’est trop profond » avouait-il, dans une interview accordée à Christian Defaye pour la RTS en 1989. Il avait trouvé dans le cinéma un moyen d’échapper à sa vie sans pour autant oublier son histoire, son identité juive, les humiliations du passé et les rancœurs indélébiles. Dans ce même entretien, comme une résonance à notre triste actualité, il déclarait que « l’antisémitisme, ça existe maintenant, c’est toujours un sujet ».

Kirk referme aujourd’hui un volume entier de l’histoire du cinéma. Avec lui, on dit adieu aux westerns de notre enfance, à nos chevauchées sur canapé dans le living-room. On salue une dernière fois Robert Mitchum, Burt Lancaster son copain et John Wayne son alter égo que tout opposait, le gabarit et les opinions politiques, mais pas l’estime. Entre géants, on s’admirait. Ce cinéma de la Dernière Séance avait des vertus pacificatrices, un héroïsme à hauteur d’enfants, des plaines sauvages à perte de vue, une nature pas encore souillée, de nobles sentiments, de l’action, de vieilles pétoires et des amours forcément contrariées. De quoi nous construire et nous ouvrir les yeux à nous petits Français biberonnés aux drames ruraux. Nous avions reconnu chez nos cousins d’Amérique, une filiation paysanne. Nous avions la campagne en héritage. Ce cinéma agissait comme une sorte d’appel d’air.

« Le western, c’est l’âme de l’Amérique » disait Kirk, son plus fidèle chevalier servant. Son franc-parler nous manquera dans une société glaçante de bien-pensance : « Stanley Kubrick est un sale con qui a du talent. J’adore son talent pas l’homme ». On se souviendra de ses années de résistance au maccarthysme en compagnie du scénariste Dalton Trumbo. Et puis de sa défense acharnée des acteurs contre le mépris de certains réalisateurs. Hollywood qui recycle toutes ses légendes à la vitesse de la lumière finira par réaliser un biopic sur la vie de Kirk. Il en remplirait même dix tellement toutes ces décennies furent glorieuses. Hasard du calendrier, The Gentlemen de Guy Ritchie est sorti hier dans les salles françaises. Matthew McConaughey ferait un faux Kirk très crédible.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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