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«Killers of the flower moon»: un grand Scorsese, un grand De Niro, un très grand film

Le film de la Paramount est en salles depuis hier


«Killers of the flower moon»: un grand Scorsese, un grand De Niro, un très grand film
Robert De Niro et Leonardo DiCaprio dans « Killers of the Flower Moon » (2023) de Martin Scorsese © AppleTV+

Après la projection à Cannes de Killers of the flower moon, le public s’était levé pour une standing ovation de cinq minutes à Scorsese et à ses acteurs. Etait-ce mérité, ou était-ce juste l’hommage obligé des professionnels de la profession à un octogénaire qui a beaucoup donné au cinéma ? Notre chroniqueur est allé hier mercredi à la première heure se rendre compte de ce qu’il en était. Il en est revenu conquis.


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Scorsese aurait rêvé toute sa vie de faire un western, paraît-il. Eh bien le voici — ce qui nous amène à expliciter ce qu’est le western.

Rappelez-vous How the West was won — un titre édulcoré en français par La Conquête de l’Ouest (1962). Le film, en 70mm, avait mobilisé trois réalisateurs familiers du western — Ford, Hathaway et Marshall —, et une pléiade d’acteurs qui s’étaient illustrés depuis trente ans dans les films les plus célèbres du genre — Henry Fonda, Gregory Peck, James Stewart, John Wayne, Eli Wallach et j’en passe. Pesez bien le sens du titre américain : Comment l’Ouest fut conquis. Conquis sur qui ?

Fleurs de sang

Le film de Scorsese, immense film politique s’il en fut, répond à la question : la terre fut conquise sur les Indiens. Les Indiens de toutes origines et de toutes tribus, passés en un siècle de plusieurs dizaines de millions à moins de 100 000.

Et ça ne s’est pas arrêté aux années 1880. Scorsese raconte l’histoire vraie du massacre des indiens Osage, parqués dans une réserve d’Oklahoma — mais le traité stipulait qu’ils étaient propriétaires des ressources du sol et du sous-sol, que l’on pensait bien pauvres. Fatalitas ! Ça regorgeait de pétrole, et voilà nos sauvages riches à millions.

Oui, mais le Blanc n’est pas partageux. Alors il en tua quelques dizaines, pour récupérer leurs titres de propriété. C’est cette éradication tribale que raconte Killers of the flower moon (la « flower moon » est celle du mois de mai, quand la prairie fleurit — très beau plan d’iris sauvages blancs et bleus, à ceci près que les fleurs cultivées par les protagonistes blancs sont plutôt des fleurs de sang).

Et à ce jeu du vilain absolu, Robert De Niro, qui s’était ces dernières années égaré dans des productions lucratives et lamentables, fournit une prestation stupéfiante. Il ne gesticule pas, ne se lance pas dans de grands discours : il regarde, simplement, et ce qui passe dans son regard est de la haine et de la cruauté à l’état brut.

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Quand on écoute des interviews de De Niro, on est frappé par la pauvreté de ses propos. En fait, il illustre à merveille la théorie de Diderot et son Paradoxe du comédien : « C’est l’extrême sensibilité qui fait les acteurs médiocres : c’est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais acteurs ; et c’est le manque absolu de sensibilité qui prépare les acteurs sublimes. » Voilà : De Niro (et à un moindre degré Di Caprio, qui a depuis longtemps compris que se cantonner dans les rôles de petite gouape à belle gueule ne le mènerait pas bien loin, et qui s’est épaissi, malmené, défiguré, jusqu’à ne plus être qu’un bloc de granit susceptible de toutes les expressions) ne joue pas, il devient à chaque fois le personnage qu’il incarne. Il disparaît derrière son personnage. Cybill Shepherd, sa partenaire de Taxi Driver, a raconté que dans une scène où il la menace, elle avait tellement cru à sa violence qu’elle tourne la tête, malgré elle, vers l’équipe de tournage pour quêter une aide, au cas où. C’est bien pire ici : ce que De Niro fait passer à chaque plan est une préfiguration de l’Enfer.

3h 1/2 de splendeur

Le film est long, il n’est pas trop long : l’enfer ne s’ouvre pas du jour au lendemain, il fallut près d’une soixantaine de morts avant que le FBI, que Hoover venait de créer, se décide à enquêter. Pendant ce temps, les Osages, diabétiques à force de manger comme les Blancs (à Marseille, le principal centre anti-diabétique est à la limite des quartiers musulmans du Nord, parce que le régime Coca / sodas, en sus du couscous, induit des pathologies « blanches » dans des organismes qui n’étaient pas préparés aux poisons de la civilisation avancée qu’est la nôtre), meurent à petit feu. Lily Gladstone, vraie indienne qui pourrait bien être la première « native » nominée pour un Oscar, joue splendidement le rôle de la fleur de prairie qui s’étiole et voit mourir sa famille autour d’elle, de façon plus ou moins violente.

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L’Ouest fut « gagné » par la poudre, et pas autrement. Les États-Unis aiment le sang, ils aiment la guerre, qui sert leurs intérêts commerciaux. Il n’y a aucun conflit — y compris les deux guerres mondiales — où ils soient entrés avec une autre idée que de se tailler des empires commerciaux.

C’est l’effet biblique assumé. Dieu leur a donné des territoires prétendument vierges — qu’ils se sont chargés d’assainir des tiques à peaux rouges qui les peuplaient. Killers of the flower moon tire la leçon ultime de cette conception religieuse de la propriété — et rassurez-vous, quoique condamnés, les tueurs n’ont pas fini leur vie en prison.

Prévoyez 3h1/2 de splendeur. Vous ne serez pas déçus, chaque plan est maîtrisé dans le moindre détail. L’insertion de photos noir et blanc, de fragments de films muets, donne le sentiment du temps qui passe sans peser sur le spectateur. C’est une merveille, comme seul le cinéma américain, quand il est maîtrisé par un très grand cinéaste, sait les élaborer. Et tant pis pour les p’tits jeunes qui se croient acteurs ou cinéastes. Qu’ils aillent prendre quelques leçons, et nous reviennent humbles — mais là, je crois que je rêve.





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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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