À la longue liste des personnes assassinées au nom d’un Dieu de paix et d’amour, il convient désormais d’ajouter Ronan Kerr.
Ronan Kerr était catholique. Il en est mort. Un de plus. Il est vrai que les catholiques paient, en ce moment, un lourd tribut en certains points chauds bouillants du globe. J’entends d’ici fuser les exclamations indignées à juste titre et je m’apprête à lire des commentaires logiquement scandalisés.
Pourtant, Ronan Kerr n’a pas été égorgé à Tibhirine, lapidé au Caire ou pendu à Téhéran par des barbus hystériques. Il a été pulvérisé quand sa Ford Mondeo piégée a explosé à Omagh, dans le comté de Tyrone, alors qu’il s’apprêtait tranquillement à rentrer chez lui après sa journée de travail. En Irlande, donc, comme son patronyme bien celtique pouvait le laisser supposer. Plus précisément en Irlande du Nord.
Il avait 25 ans et une tête de bébé. Il venait de s’engager comme constable dans la police de sa ville. La police très britannique d’un pays où les guerres de religion entre bons chrétiens ne sont pas un vain mot et tuent pour de vrai.
Omagh la sanglante. En 1998, le plus meurtrier des attentats de l’IRA en trente ans y a fait 29 morts et 220 blessés quand la branche « véritable » a voulu en finir avec la branche « provisoire ». À moins que ce ne soit le contraire, cet abscons jargon pseudo-révolutionnaire pêchant souvent par manque de clarté. Des protestants, des catholiques, un mormon, neuf enfants, une femme enceinte de jumeaux, deux touristes espagnols et des excursionnistes situés un peu avant Ronan Kerr dans la liste susnommée pourraient témoigner qu’un crime pour raison religieuse relève toujours d’une extravagante absurdité.
Pourtant, depuis vingt ans, le processus de paix initialisé par Tony Blair le catholique a enfin enterré deux siècles d’insurrections et de violences religieuses continues au cœur même de l’Europe. Le partage équitable des postes administratifs et policiers entre les deux communautés étant le fer de lance et le symbole même de la réconciliation, c’est lui qui a été visé et le malheureux Ronan Kerr en a fait les frais.
Bonne nouvelle malgré tout : la réprobation a été unanime et le pays soudé dans la condamnation univoque. Pour la première fois dans l’histoire, un premier ministre issu du parti démocratique unioniste a assisté officiellement à une messe catholique en compagnie de son vice-premier ministre, le catholique Mc Guinness. Du jamais vu, du 100 % inédit, des officiers de police et des membres de l’association athlétique gaélique ont porté le cercueil épaules contre épaules, peine contre peine, laissant là dans la petite église de l’immaculée conception à Beragh leurs dissensions théologiques…
En 2011, pas en 1572 (année du massacre de la Saint-Barthélémy). On croit rêver. Les deux ministres ont rappelé leur attachement au processus pour tourner définitivement la page sanglante écrite par la génération précédente. La mère de la victime a demandé à ses coreligionnaires de ne pas céder à la haine et de poursuivre leur engagement au sein de la police nationale multiconfessionnelle. Le père John Skinnader a rappelé que le policier abattu était « le symbole de la nouvelle Irlande du Nord, un jeune homme rêvant depuis toujours d’être au service des autres, pour les protéger et construire la paix entre les communautés ». Le cardinal Sean Brady, primat de l’église d’Irlande, a plaidé pour l’arrêt définitif de toute forme de violence. 70 000 personnes silencieuses se sont rassemblées à Belfast à l’appel des syndicats. Des discours de tolérance par des hommes et des femmes de bonne volonté qu’on aimerait entendre partout.
Il n’empêche qu’au Royaume-Uni, si la priorité est depuis 2005 à la lutte contre le terrorisme islamique, on garde toujours un œil méfiant sur ces Républicains irlandais qui se réveillent régulièrement comme des volcans mal éteints. Les musulmans n’ont pas le monopole de l’obscurantisme et protestant échaudé craint l’eau froide. Un arsenal de kalachnikovs, détonateurs, bombes incendiaires et semtex a été découvert dans un garage de Coalisland juste après le crime. Assurément, il n’était pas là que pour faire joli.
Quoique non revendiqué, cette fois encore, la responsabilité du crime est attribuée à des « dissidents » républicains opposés à la décision du Sinn Fein (parti nationaliste et catholique nord-irlandais) de partager le pouvoir avec les frères ennemis protestants.
Dissidents… Qui se cache dans ce fourre-tout commode ? Autant de vieux militants qui refusent de déposer les armes et d’accepter les méthodes pacifiques que des gamins désabusés, sans avenir, détruits par la succession des plans d’austérité inaugurés par Margaret Thatcher et qui ont laissé sur le carreau une génération prête à se laisser tenter par la solution extrémiste.
Comme un dernier baroud d’honneur, les scories d’une guerre religieuse d’un autre âge, au moment où les Irlandais de la République vous laissent entendre à mi-mot qu’ils ne voudraient pas du Nord quand bien même on leur offrirait sur un plateau. Dans quelques semaines Elizabeth II effectuera au pays du trèfle la première visite officielle d’un souverain britannique depuis l’indépendance en 1922…
Rien ne change, décidément, sous le soleil. À Omagh, New-york ou Bagdad, Dieu ou Allah ont toujours bon dos quand il s’agit de torpiller par la terreur les souhaits de la majorité silencieuse. À Omagh ou Bagdad, la réconciliation est passée ou passera par la satisfaction du très irrationnel mais très ombrageux sentiment de dignité et de justice.
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