Une femme, un parti, une révolution ? Kemi Badenoch récupère un Parti conservateur en piteux état. Les premiers pas de cette femme d’origine nigériane à la tête de l’opposition sont scrutés de près outre-Manche. Portrait.
L’ascension de Kemi Badenoch à la tête des conservateurs britanniques constitue une étape marquante et historique dans le paysage politique du Royaume-Uni. À seulement 44 ans, elle devient la première femme noire à diriger un grand parti politique britannique, remportant un vote décisif contre Robert Jenrick lors d’une élection interne. Cette victoire ne se limite pas à briser des barrières ; elle s’inscrit dans un mouvement plus vaste, celui de l’émergence de députés conservateurs noirs et asiatiques qui ont récemment occupé des postes de responsabilité, tels que James Cleverly, Suella Braverman, Priti Patel et Sajid Javid. Rishi Sunak, battu aux élections de juillet, ne manquait pas de faire valoir sa fierté d’être le premier Premier ministre britannique d’origine asiatique. En 2023, Kemi Badenoch a osé déclarer la Grande-Bretagne comme « le meilleur pays au monde pour être noir », une affirmation qui a suscité l’enthousiasme des journaux de droite tout en déclenchant une avalanche de critiques de la part des experts progressistes. Pour les conservateurs, encore secoués par une défaite électorale majeure en juillet, cette élection revêt une importance particulière : ils viennent d’élire leur deuxième chef consécutif issu d’une minorité ethnique et leur quatrième femme à la tête du parti. Benjamin Disraeli, d’origine juive, devenu Premier ministre en 1868, représentait le premier dirigeant de minorité ethnique dans l’histoire du parti.
Aujourd’hui, Mme Badenoch ouvre une nouvelle voie, porteuse d’espoir et de diversité, inscrivant son nom dans les annales de l’histoire politique britannique.
Retour en arrière : la montée de Kemi Badenoch
En 2022, alors que le Parti conservateur traversait une période tumultueuse, Kemi Badenoch, alors âgée de 42 ans et ancienne ministre de l’Égalité, a décidé de se lancer dans la course à la direction du parti. Elle s’est retrouvée parmi cinq candidats, dont des figures plus établies comme l’ancien Premier ministre et chancelier, Rishi Sunak, et la ministre des Affaires étrangères Liz Truss. Avec le soutien notable de Michael Gove, Mme Badenoch a affirmé sa volonté de « dire la vérité » et de prôner un gouvernement resserré, signalant ainsi une rupture potentielle avec l’ère de Boris Johnson. Ce tournant a préparé le terrain pour son ascension, la menant aujourd’hui à être la première femme noire à diriger un grand parti politique britannique.
Parcours d’une pionnière aux racines multiples
Olukemi Olufunto Badenoch, née Adegoke un 2 janvier 1980 à Wimbledon, Londres, se dresse comme une figure singulière et puissante du paysage politique britannique, la première femme noire à gravir les échelons du Parti conservateur. Son histoire tisse le fil d’une identité façonnée par la diversité culturelle et la résilience, un destin intimement lié aux multiples lieux qu’elle a habités. Fille de Femi, médecin généraliste, et de Deyi, professeure de physiologie, elle est née d’un coup du sort : une simple visite médicale de sa mère au Royaume-Uni lui ouvre plus tard la voie à un passeport britannique. Ce privilège inattendu façonne sa vision du monde, lui permettant de trouver un juste équilibre entre ses racines nigérianes et son appartenance britannique.
Mme Badenoch grandit au croisement de Lagos et des États-Unis, héritant d’une perspective unique et d’un enracinement solide, qui la distinguent de ses pairs. Au Nigeria, elle fréquente l’International School de l’Université de Lagos, où elle se voit comme une écolière Yoruba de classe moyenne, apprenant à naviguer dans la complexité des cultures et des traditions. Cette enfance éclatée, faite de voyages et de contrastes, devient le terreau d’une personnalité capable de jongler avec aplomb entre des mondes divers, une qualité précieuse pour celle qui incarne désormais l’ascension des minorités au cœur du pouvoir britannique.
C’est donc avec un bagage riche d’influences multiples que Kemi Badenoch entame sa propre aventure en Grande-Bretagne.
De l’héritage nigérian à l’autonomie britannique
À 16 ans, poussée par les bouleversements politiques et économiques au Nigeria, elle retourne au Royaume-Uni, seule, avec la ferme intention de tracer sa route. Bien que sa famille soit de classe moyenne, son quotidien se distingue de celui des autres candidats conservateurs : elle doit travailler dans un McDonald’s tout en préparant ses Advanced Levels. Elle évoque cette expérience formatrice, une leçon de dignité du travail, comme un chapitre fondamental de sa jeunesse.
Elle poursuit des études en informatique à l’Université du Sussex, devient ingénieure logiciel chez Logica, puis décroche un diplôme de droit à Birkbeck College tout en travaillant. Elle évolue ensuite dans le secteur financier, devenant analyste systèmes à la Royal Bank of Scotland, puis directrice adjointe chez Coutts, la banque de la reine. En parallèle, elle prend les rênes du magazineconservateur The Spectator, forgeant ainsi sa carrière au sein de l’élite britannique.
Ses premiers pas sur la scène politique
Kemi Badenoch entre dans l’arène politique britannique en 2005, à seulement 25 ans, en rejoignant les rangs du Parti conservateur. Animée par une conviction profonde et une vision claire, elle tente sa chance à plusieurs élections locales et législatives dès 2010, sans succès initial. Mais chaque échec n’a fait qu’aiguiser sa détermination, et elle se prépare à marquer le paysage politique de son empreinte.
Fervente partisane du Brexit, Mme Badenoch perçoit la sortie de l’Union européenne comme une renaissance nationale, un retour à une autonomie dont elle admire la force. Lors de sa première élection en tant que députée en 2017, elle remporte haut la main la circonscription de Saffron Walden avec plus de 37 000 voix, une victoire éclatante qui la consacre au sein des conservateurs. Dans son discours inaugural, elle qualifie le vote du Brexit de « plus grand acte de confiance envers le Royaume-Uni » et revendique son héritage politique auprès des géants conservateurs, évoquant Winston Churchill et Margaret Thatcher comme ses modèles. Ce même mois, elle est invitée à rejoindre le comité influent des députés conservateurs, le Comité 1922, affirmant ainsi sa place parmi les voix montantes du parti.
Pour Mme Badenoch, entrer en politique n’est pas seulement une ambition : c’est un engagement viscéral pour un Royaume-Uni souverain, une foi inébranlable en un pays capable de s’élever par lui-même.
Pour Badenoch, les défis qui l’attendent sont d’autant plus complexes qu’elle doit non seulement relever le défi de diriger l’opposition, mais aussi restaurer la confiance des électeurs dans un contexte politique en mutation.
La route semée d’embûches vers la rédemption Conservatrice
L’attention de Kemi Badenoch se tourne désormais vers la manière d’affronter un gouvernement travailliste qui vient de présenter le plus important paquet d’augmentations d’impôts au Royaume-Uni depuis plus de 30 ans. Cependant, le chemin ne sera pas facile pour cette nouvelle leader conservatrice. Victorieuse dans une course à la direction acharnée, elle se retrouve désormais chargée d’unir un parti fracturé tout en dirigeant l’opposition contre Sir Keir Starmer. « Nous devons ramener ceux qui nous ont abandonnés », a-t-elle déclaré, soulignant l’importance vitale du Parti conservateur pour l’avenir du pays. « Pour être entendus, nous devons être honnêtes. »
Elle a également affirmé qu’il était « temps de se mettre au travail » pour « renouveler » le Parti conservateur. Dans ses propres mots, « le temps est venu de dire la vérité, de défendre nos principes, de planifier notre avenir, de repenser notre politique et notre façon de penser, et de donner à notre parti et à notre pays le nouveau départ qu’ils méritent. » Ce nouvel élan se heurte néanmoins à un contexte difficile : alors que Mme Badenoch devient la première femme noire à diriger un grand parti politique au Royaume-Uni, Keir Starmer, le Premier ministre travailliste, a qualifié cette avancée de « moment de fierté pour notre pays ». Pourtant, le scepticisme demeure. Ellie Reeves, présidente du Parti travailliste, a fait entendre sa voix : « L’élection à la direction du parti a été longue, mais une chose est sûre : les conservateurs n’ont rien appris depuis que le peuple britannique les a rejetés en masse en juillet. »
À ce stade, Kemi Badenoch se trouve à un carrefour, balançant entre un héritage chargé et des promesses d’innovation.
Saura-t-elle naviguer dans ces eaux tumultueuses et insuffler au Parti conservateur le souffle nouveau dont il a tant besoin ? Car à l’heure où le navire politique prend l’eau, un bon capitaine saura toujours tirer parti des vents favorables pour redresser la barre, même dans les tempêtes les plus violentes. Est-elle prête à devenir le phare qui guidera son parti à travers cette nuit politique incertaine ?