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Victoire des Travaillistes à Londres: la fin du populisme?

Et Keir Starmer est-il aussi modéré qu’on le dit ?


Victoire des Travaillistes à Londres: la fin du populisme?
Le nouveau Premier ministre britannique, Keir Starmer, arrive au 10 Downing Street accompagné de sa femme Victoria, Londres, 5 juillet 2024 © UPI/Newscom/SIPA

Tout le monde parle de la grande victoire des Travaillistes de Sir Keir Starmer, un homme supposément modéré qui a réussi à purger et discipliner l’aile extrême-gauche de son parti. Un homme modéré qui, en battant comme plâtre les Conservateurs, serait parvenu à mettre fin à la parenthèse populiste qui a suivi le vote en faveur du Brexit. Mais est-il vraiment si modéré ? Et peut-on dire que le populisme est fini, quand Nigel Farage est élu pour la première fois au Parlement de son pays ?


Après des mois de suspense – non pas quant au résultat des élections britanniques, mais concernant l’étendue du désastre pour le Parti conservateur – on connait enfin le résultat. Les Travaillistes finissent avec quelque 412 sièges et les Conservateurs en sont réduits à 122. Pour ces derniers, c’est un peu moins catastrophique que ce qui était prévu par certains sondages qui leur donnaient une soixantaine de sièges, faisant des Libéraux-démocrates l’opposition officielle à la Chambre des Communes. Pourtant, comme consolation, c’est bien maigre. Les Lib-dem ont quand même 71 sièges, plus que la moitié des Conservateurs, tandis que le parti de Nigel Farage, Reform UK, décroche cinq sièges, dont celui de son leader bouillonnant. Quand ce dernier a décidé au dernier moment, le 3 juin, de se lancer dans la course en se présentant dans la circonscription balnéaire défavorisée de Clacton, le sort des Conservateurs était définitivement scellé. En divisant le vote de la droite, la participation aux élections des candidats de Reform, inspirés par la faconde démagogique de leur chef, a permis aux Travaillistes d’emporter une victoire encore plus écrasante.

Un raz de marée sans enthousiasme

Pour bien marquer la fin des quatorze dernières années de gouvernement conservateur, de nombreux dirigeants du Parti ont perdu leur siège, comme l’ex-Première ministre, Liz Truss, ou le grand partisan du Brexit, Jacob Rees-Mogg. Les sièges des anciens locataires du 10 Downing Street, David Cameron et Boris Johnson, occupés par d’autres élus conservateurs après le départ des deux chefs, sont tombés entre les mains de leurs adversaires. Il est évident que la motivation première de l’électorat était de punir les Conservateurs qui monopolisaient le pouvoir depuis longtemps sans tenir la plupart des promesses téméraires qu’ils avaient faites à chaque élection. Peut-on dire pour autant que le raz de marée travailliste était proportionnel à l’enthousiasme ressenti par les Britanniques à l’égard de Sir Keir Starmer, son programme et ses équipes ? Que nenni ! Le taux de participation a été un des plus bas jamais enregistrés. Quoique finissant avec presque les deux tiers des sièges de la Chambre des Communes, le Parti travailliste n’a engrangé que 35% du vote populaire. C’est un point de moins que Corbyn en 2019 et cinq de moins que le même en 2017. Le système électoral britannique est tel que, selon les années et la répartition géographique des circonscriptions, un certain pourcentage du vote peut se traduire en plus ou moins de sièges. Cette année, les 35% de Starmer lui ont permis de gagner le gros lot. A part le Parti conservateur, il y a un autre grand perdant : le parti des Nationalistes écossais, réduits de 48 sièges à 9 au Parlement de Westminster (ils restent au pouvoir à Édimbourg jusqu’en 2026). Dominés eux aussi par les Travaillistes, leurs espoirs de voir un référendum sur l’indépendance de l’Écosse avant la fin de la présente décennie se sont évaporés comme le brouillard sur les collines des Highlands.

Le populisme botté en touche ?

La défaite des Conservateurs est-elle imputable au Brexit ? C’est ce que veulent croire de nombreux commentateurs français. Car en France on a besoin de mettre tout ce qui va mal au Royaume Uni sur le compte du Brexit qui constitue comme le péché originel du populisme en Europe. Le hic, c’est que cette interprétation, étant le produit d’un fantasme, est fantaisiste. Ce n’est pas le Brexit qui a vidé les caisses de l’État outre-Manche, mais les sommes faramineuses (selon les chiffres officiels, entre 370 et 485 milliards d’euros) dépensées pendant le Covid. L’inflation galopante qui a suivi la guerre en Ukraine a définitivement ruiné les chances qu’avait le gouvernement conservateur, à une époque, de mener à bien son projet de « levelling up » (« nivellement par le haut »). L’objectif en était de redynamiser les régions défavorisées en investissant massivement dans leurs infrastructures et dans la requalification de leurs populations.

Si la sortie de l’UE a joué un rôle dans le crépuscule de la bonne étoile des Conservateurs, ainsi que dans leur défaite finale, c’est dans la mesure où le Brexit représentait une ambition impossible à réaliser. Car la promesse du Brexit cachait une contradiction fondamentale. Les politiques et intellectuels qui ont promu l’idée de quitter l’UE voulaient plus de mondialisation. Ils cherchaient à se libérer de la tutelle de Bruxelles dans le fol espoir de conclure encore plus d’accords commerciaux avec toujours plus de partenaires à travers la planète. En revanche, les électeurs qui ont voté pour le Brexit voulaient plus de mesures protectionnistes. Ils voulaient être à l’abri de la concurrence internationale. Ils appelaient de leurs vœux le retour de l’industrie dans ces régions aujourd’hui désertiques mais qui, autrefois, avaient constitué le cœur battant de la Révolution industrielle. Après le Brexit, le gouvernement de Boris Johnson a certes réussi à conclure des accords commerciaux mais seulement avec les partenaires avec lesquels le Royaume Uni avait déjà eu des accords à travers l’UE. Et puis les fonds qu’il voulait investir dans les régions ont été engloutis par la pandémie et l’inflation.

Arrivant après le départ humiliant de Johnson suivi de celui de Liz Truss, le brave et peu charismatique Rishi Sunak avait juste assez de marge de manœuvre pour ramener l’inflation à un niveau raisonnable. Quant à l’immigration, Johnson avait abandonné toute ambition chiffrée de réduire le nombre des personnes arrivant au Royaume Uni par des voies légales. Il croyait qu’une politique d’immigration choisie permettrait de ne recruter à l’étranger que des travailleurs hautement qualifiés qui ne constitueraient pas une source de compétition pour les ouvriers britanniques non ou peu qualifiés. La politique a échoué tout comme celle que Nicolas Sarkozy avait adoptée entre 2007 et 2012. Sunak a donc choisi de se focaliser sur les migrants illégaux arrivant par la Manche. Il a investi tous ses espoirs dans sa politique d’expulsion vers le Rwanda dont la promulgation a drainé une grande partie de l’effort législatif de son gouvernement et dont la mise en ouvre est arrivée beaucoup trop tard pour le sauver. Aujourd’hui, Starmer, qui a toujours dénoncé ces politiques comme racistes et irréalisables, parle vaguement de réduire l’immigration clandestine – car une partie de son électorat le réclame – mais ne propose pas de nouvelles mesures pour le faire. Il se drape dans le discours vertueux de l’antiraciste surtout pour prendre ses distances par rapport à ces années où le conservatisme régnait en maître.

Mais si Starmer croit avoir dompté les velléités populistes des Conservateurs, il a pu le faire grâce, en partie, au retour en politique de Farage qui, lui, incarne tous les vices idéologiques que les Travaillistes détestent. Certes, le Brexit n’a joué aucun rôle dans la campagne électorale. Il n’a fait l’objet d’aucun débat. Il est désormais relégué au passé par tout le monde. Mais Farage lui-même n’en a plus besoin. Il continue à prôner les valeurs populistes mais sans le Brexit. Ces valeurs sont : la maîtrise des frontières ; des baisses d’impôts ; l’importance de l’ordre public ; et la nécessité d’éradiquer l’influence néfaste du wokisme dans les institutions publiques. C’est ici que, pour qui regarde de près les propositions du parti travailliste, Starmer laisse voir un côté beaucoup moins modéré. Car il est probable que son nouveau gouvernement renforce la législation existante contre la discrimination raciale afin de sanctionner le racisme « systémique ». Ce dernier représente une forme de préjugé qui serait partout présent mais nulle part visible. Une personne qui prétend en être victime n’aura même pas besoin d’apporter des preuves tangibles et spécifiques de l’injustice dont il se plaint. En outre, tout l’ensemble des concepts tels que le « privilège blanc » et la « culpabilité des Blancs » sera intégré aux programmes scolaires. Or, on peut de nos jours définir le populisme comme l’opposition au wokisme. On peut même aller jusqu’à dire que le wokisme, c’est le populisme de l’extrême-gauche. La conclusion qui s’impose, c’est que Starmer, loin d’avoir éliminé le populisme de droite, que Farage continuer à porter haut, assume des aspects importants de ce populisme de gauche.

L’aporie du purisme idéologique

Inévitablement, dans leur défaite, les Conservateurs parlent, non seulement de choisir un nouveau leader, mais aussi de redéfinir le conservatisme, prétendant que, au cours de ces 14 années, ils ont perdu de vue leurs valeurs essentielles. Pour beaucoup, il faut mettre le curseur plus à droite, en adoptant les valeurs prônées par Farage et Reform. Pour d’autres, il faut revenir aux purs principes libéraux du thatchérisme ou de Friedrich von Hayek. D’autres encore n’ont pas oublié le « conservatisme compassionnel » que David Cameron avait prôné, même à une époque où il était contraint d’imposer à son pays un programme d’austérité économique. A part l’impression de confusion donnée par toutes ces voix qui prétendent parler au nom du conservatisme le plus pur, la question fondamentale est simple : les Conservateurs peuvent-ils, doivent-ils fusionner avec le Reform de Farage ? Ce dernier semble avoir donné sa réponse. En faisant campagne contre les Conservateurs, il a lancé une OPA hostile sur un parti qui, après 2016, l’a déçu à répétition. Le Parti conservateur s’est effectivement présenté comme en lui-même une coalition réunissant le centre-droit et la droite de la droite (comme un mélange de LR et RN). Cette coalition n’a jamais vraiment eu le courage de ses convictions.

De toute façon, le vrai problème des Conservateurs n’est pas celui de la définition du conservatisme. Ce dernier, comme toutes les idéologies politiques, est nourri par de multiples courants qui apportent chacun un élément utile et fécond selon les situations. Le vrai problème des Conservateurs est plutôt celui de savoir comment gouverner à notre époque. Les politiques semblent perdus dans le dédale créé par la complexité de la mondialisation, par la volatilité de l’opinion publique s’exprimant sur les réseaux sociaux, ainsi que par la multiplicité des règles et des procédures qui caractérisent le fonctionnement de l’État moderne et qui paralysent trop souvent l’action des élus. Johnson, Truss, Sunak… autant de leaders prétendant conduire leurs concitoyens à travers un labyrinthe dans lequel ils sont eux-mêmes perdus. Et comme on le verra très vite, Starmer en est un autre.




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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