Après six semaines de combats, un accord de cessez-le-feu a été signé le 9 novembre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. L’analyse de Gil Mihaely
Contrairement aux précédents arrêts des combats, tout porte à croire que la guerre est finie cette fois-ci. La raison est simple : l’armée azerbaïdjanaise l’a remporté sur le champ de bataille. Au moment de la signature, la chute de la capitale de la région séparatiste et donc l’écroulement de la république auto proclamée du Haut Karabakh, n’était qu’une question des jours. Après avoir consulté les responsables militaires de son pays, Nikol Pachinian, le premier ministre arménien, n’avait plus le choix. Il a décidé de s’accrocher à la perche tendue par Vladimir Poutine, le parrain de l’accord, et sauver une partie du Haut Karabakh et sa capitale. Cette signature peut lui couter sa carrière politique voire sa vie. Elle couterait à Karabakh non seulement l’essentiel de son territoire mais aussi le contrôle de la principale route – Goris-Lachin-Stepenkart/Xankandi – la liant à l’Arménie. Autrement dit, désormais Bakou tient solidement l’enclave séparatiste à la gorge. Quelle que soit l’issue des négociations entre les deux belligérants, la République autoproclamée du haut Karabakh est condamnée à une mort politique, économique et sociale lente. Elle aura perdu plus des deux tiers de sa population pendant la guerre et il est difficile d’imaginer que les quelques dizaines de milliers d’Arméniens restés sur place pourraient avoir un quelconque avenir collectif dans ces conditions. Déjà avant la guerre il était très difficile d’empêcher les jeunes de partir. Qu’est ce qui les retiendra sur place dans les années à venir ?
Pachinian a provoqué son adversaire et irrité son allié russe
Nikol Pachinian s’est donc montré courageux et lucide en prenant une décision aussi horriblement douloureuse qu’inévitable : reconnaître la réalité des rapports de forces, arrêter les frais et essayer de sauver ce qui peut encore être sauvé. Malheureusement, Pachinian s’est rarement montré perspicace pendant ses trente mois au pouvoir. Il a mal évalué sa marge de manœuvre face à Moscou. Il a sous-évalué l’armée azerbaïdjanaise et l’élite politique de son adversaire. Il n’a pas compris que la supériorité militaire arménienne de 1994 n’existait plus. Ainsi il n’a pas réalisé qu’une chose seulement empêchait l’Azerbaïdjan de reprendre par la force le Haut Karabakh et les sept régions qui l’entourent : un feu rouge de Poutine. Pachinian pensait que, comme en avril 2016, Moscou allait imposer un arrêt des combats au bout de quelques jours, qu’il avait une police d’assurance vie russe toujours en cours de validité. Pire, il n’a eu de cesse d’irriter celui-là même qui était supposé le défendre. Et pour ne rien arranger, il a poussé les Azerbaïdjanais à bout, notamment avec sa déclaration « le Karabakh est l’Arménie » : qui peut espérer entamer une négociation si l’objet même de la négociation n’est pas négociable ?
Digérer une défaite est probablement l’une des épreuves les plus difficiles dans la vie d’une nation. Ironie de l’histoire, l’Azerbaïdjan en est le parfait exemple. En 1994, récemment élu, le deuxième président de l’Azerbaïdjan Haydar Aliyev a dû faire face à la défaite militaire, à la perte de 20% du territoire national et à l’arrivée d’un million de personnes déplacées. Sa réponse a été le développement du potentiel économique et humain de son pays. Cependant, dans le cas de l’Arménie on peut craindre non seulement une instabilité intérieure mais aussi des réactions venant des éléments non contrôlés par Erevan. Car il faut savoir qu’il existe au moins trois Arménies : celle d’Erevan, celle de Haut Karabakh et celle des diasporas, notamment en France et aux États-Unis. Or, si Erevan pourrait devenir un interlocuteur et un partenaire pour un accord définitif avec Bakou, les Arméniens du Karabakh et certains cercles de la diaspora risquent de s’engager dans un combat désespéré et peut-être même, comme jadis les Palestiniens, du terrorisme. Le passé récent démontre que ce scenario n’est pas fantaisiste.
Le rôle des Français
Géopolitiquement, au-delà des deux belligérants, cette guerre a une grande gagnante – la Russie – et une grande perdante – la France. La Russie a habilement laissé l’Azerbaïdjan résoudre pour elle le problème Pachinian tout en renforçant sa position à Erevan (plus que jamais dépendant d’elle) et à Bakou, reconnaissant pour le feu vert et plus que jamais conscient des rapports de forces dans la région. Quant à la France, elle a choisi d’abandonner son rôle d’arbitre neutre que lui conférait la co-présidence du feu groupe de Minsk et de tourner le dos à ses propres principes. Dans ce conflit, l’Arménie est la puissance occupante selon la loi internationale et l’ONU, deux institutions pourtant chères à nos diplomates qui ne jurent que par le multilatéralisme… Ce que nous avons lu et entendu chez nous ces dernières semaines sur ce « pays musulman qui massacre des chrétiens » est tout simplement hallucinant ! La triste réalité est que nous avons dilapidé en quelques semaines un important capital de sympathie et de bonne volonté. Au pays où Joe Dassin est une star, où la capitale s’enorgueillit d’un quartier inspiré de l’architecture haussmannienne, d’une école et d’une université françaises, il faudra attendre longtemps avant d’entendre un chauffeur chanter à midi ou à minuit, il y a tout ce que vous voulez aux Champs-Élysées en reconnaissant l’origine de son passager…
Cependant, justement parce qu’un grand nombre de ses citoyens sont d’origine arménienne, la France pourrait jouer un rôle dans les mois et années à venir: ramener tout le monde à la raison. Car si les armes se sont tues, ce n’est pas encore la paix stable et durable. Soutenir une paix fondée sur la justice et appuyée sur le développement humain et économique du Sud Caucase est le souhait de Bakou et l’intérêt d’Erevan. Cela devrait être la mission de la France.
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