Assis, debout ou à genoux: dans l’école flexible dont rêve Emmanuel Macron, c’est comme on le sent. La fin de l’universel, en somme, et une philosophie de l’apprentissage en contradiction totale avec le souhait présidentiel de rétablir l’autorité, analyse cette contribution.
Le président Macron profite de cette fin d’été pour accorder une interview au journal Le Point. Les propos sur la politique intérieure et extérieure mériteraient sans doute notre attention. Mais ce sont les quelques pages consacrées à l’éducation qui nous interpellent plus encore, notamment car l’école devrait constituer un des leviers principaux pour instaurer de nouveau une forme d’autorité, de discipline et de civilité. Mais paradoxe (contradiction?), le président affirme : « Quand il n’y a plus de cadre, plus d’éducation, plus de rapport à l’autorité qui vous ramène à une forme de raison, vous arrivez [au désœuvrement de la jeunesse et à “l’ensauvagement de la société”] », et il propose en même temps avec le plus grand sérieux du monde de tester “l’école flexible”. Ce qui signifie ici que l’élève peut choisir sa position : debout, assis ou à genoux. Vivent les scolioses intellectuelles! Cela pourrait paraître anecdotique, ce petit kamasutra scolaire; mais faute d’un propos bien consistant sur l’école, analysons cette miette de proposition qui, en réalité, en dit long sur la vision que le chef de l’Etat a de l’école.
Assis, debout ou à genoux: c’est “comme tu le sens”. La fin de l’universel
Premier point : nous quittons l’universel en miniature que devrait constituer toute classe pour se réfugier dans l’océan des particularismes. Chacun a bien le droit de se tenir comme il le souhaite en classe. C’est donc le triomphe de l’individualisme et du désir particulier sur le bien commun. Car personne ne conçoit que, pour le bien de la totalité que constitue cette entité à part entière qu’est la classe, il serait mieux que tout le monde soit assis, tourné ensemble dans la même direction, vers un but commun (et non pas, par pitié, en îlots comme le veulent encore quelques pédagos qui ne semblent pas comprendre que tout temps passé ainsi ne sert qu’à bavarder, désœuvré, ou à se regarder, ennuyé, en chien de faïence).
Assis, debout ou à genoux: le bien-être, pas l’instruction
Accordons nous déjà sur le fait que, si on autorise la position à genoux, il n’y a qu’un coude avant de se vautrer par terre. On se souvient de la scène du Péril jeune de Klapisch où le professeur de maths un peu laxiste force les élèves à s’allonger pour se détendre avant l’interrogation. (“Nous ne commencerons pas l’interrogation tant que tout le monde ne sera pas détendu!”) Les résultats sont probants : Tomasi et Chabert s’endorment – les joints aidant – quand Léon et Christine, couchés tout près l’un de l’autre, se jettent de timides regards emplis de désir. Le sommeil, l’avachissement et l’attirance sexuelle seraient-ils immédiatement propices à une instruction efficace ? A l’inverse, assis, pas trop avachis si possible, on conserve une position un peu moins confortable mais qui, par ce même fait, nous permet d’aiguiser au maximum notre attention. Le confort, l’aisance à outrance, le bien-être complet ne permettent pas l’apprentissage, ils l’empêchent au contraire. Si un minimum de confort est exigé, il ne doit jamais aller jusqu’au tiède amollissement qui endort. Voilà pourquoi les chaises en bois ont du bon.
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Assis, debout ou à genoux: la fin de l’écriture
La seule position idoine pour écrire, c’est d’être assis. Si écrire debout semble encore concevable, tout le reste est à proscrire. Mais peut-être est-ce là le problème : la pédagogie actuelle juge l’écriture démodée et préfère l’oral (écouter vaguement et parler la langue que nous entendons quotidiennement). Peut-être faut-il remonter à la commission Rouchette (1963-1966) pour voir ce mépris grandissant pour la langue écrite et ce tournant vers les “compétences orales” que les actuels INSPE obligent les professeurs à faire travailler, au détriment d’une connaissance précise de l’orthographe, de la grammaire et du style écrit. À l’INSPE, l’an dernier, j’ai ainsi appris qu’il vaut mieux un exposé oral où l’apprenant improvise très médiocrement à partir de trois mots clefs qu’un excellent exposé lu à l’oral mais où l’élève se serait un peu trop appuyé sur ses excellentes notes écrites. Étrange inversion. Pourtant, écouter distraitement et parler (mal) au lieu d’écrire, c’est sans doute le triomphe de la passivité sur l’activité, de l’éparpillement sur la concentration, de la facilité qui dégoûte sur la difficulté qui stimule. Car il est plus complexe de mettre correctement en forme ses pensées à l’écrit tandis que la médiocrité passe plus facilement inaperçue à l’oral, ce pour quoi elle est précisément prisée. Et rappelons une évidence : écrire, prendre des notes est une activité qui suppose des capacités de concentration, de compréhension, de synthèse voire d’interrogation et de critique et permet la mémorisation.
Assis, debout ou à genoux: discipline et autorité
Si, prenant un peu de hauteur, on cherche à saisir un “enjeu majeur” dégagé par le président au cours de cette longue interview, il s’agirait de restaurer l’autorité, celle de l’État, celle des professeurs et du savoir. Mais l’autorité, c’est-à-dire la capacité à commander légitimement, suppose d’emblée une forme de discipline chez chacun afin de ne pas y rester imperméable. Par la discipline tout enfant se prépare à obéir à une règle de conduite imposée, à l’intérioriser puis à en comprendre le bien fondé. La clé de la discipline ? L’éducation des parents bien sûr. Et si l’école doit prendre la suite, c’est encore grâce à la position assise. Ainsi Kant, au tout début de son Traité de pédagogie insiste sur ce point :
« La discipline empêche l’homme de se laisser détourner de sa destination, de l’humanité, par ses penchants brutaux. (…)La discipline soumet l’homme aux lois de l’humanité et commence à lui faire sentir la contrainte des lois. (…) On envoie d’abord les enfants à l’école, non pour qu’ils y apprennent quelque chose, mais pour qu’ils s’y accoutument à rester tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne, afin que dans la salle ils sachent tirer à l’instant bon parti de toutes les idées qui leur viendront. »
S’habituer à obéir, à rester assis, ne pas changer de position dès qu’on le désire, faire l’apprentissage du délai, de l’attente, de la frustration peut-être, apprendre le calme et la discipline, tout cela constitue la condition de notre sensibilité future à l’autorité et à sa légitimité. Mais, à l’école, une telle discipline reste encore insuffisante et il reste à savoir de quelle autorité nous parlons. Car elle peut tout aussi bien désigner tel professeur qui jouit d’une grande autorité au sens où son savoir et ses cours le rendent admirable et respecté, qu’une autorité qui impose arbitrairement son commandement et exige la soumission. L’école n’admet finalement que la première et, si la discipline est d’abord exigée, c’est pour permettre l’éveil de l’intelligence. L’élève est-il assis, je m’adresse à un esprit, est-il à genoux, je m’adresse à un esclave. Cette communauté des esprits, cette République des intelligences, on ne l’obtient que face à une classe, face à des élèves assis mais dont on fait s’élever l’intelligence.
Assez critiqué. Remercions Emmanuel Macron qui va réinstaurer en juin (nous l’espérons) les épreuves du baccalauréat qui étaient, pour la majeure partie, placées en mars et qui tentera ainsi la “reconquête” de la fin de l’année scolaire. Visiblement il tentera aussi de conquérir le mois d’août, entreprise sans doute plus contestable, puisque le temps du professeur est aussi celui du loisir qui permet son perfectionnement intellectuel. Enfin, une dernière question : qui peut vraiment croire que M. Macron a préparé l’ENS et l’ENA en restant à genoux ?
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