Une tribune libre de Farhat Mehenni, du mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie.
Le « rapport Stora » sur l’histoire de la colonisation française de l’Algérie, suscite des polémiques davantage sur ses recommandations que sur son contenu. Bien sûr, conformément à la lettre de commande du président Emmanuel Macron, il a pour mission non pas de réécrire l’histoire mais de trouver des solutions pour une normalisation des relations entre les deux pays.
Du côté français, on pense que ces relations sont empoisonnées par des « effets de mémoire » contre lesquels il y a lieu d’allumer des contre-feux que Stora a résumés en 21 propositions pour le moins controversées.
En réalité, un postulat de base erroné a entrainé une erreur de casting.
Ce postulat suppose que c’est la mémoire de la guerre d’Algérie qui serait à l’origine de l’incapacité des deux pays à stabiliser leurs relations. Cela relève davantage de l’intuition que de l’analyse politique. La France a eu, avec ses voisins européens, des guerres autrement plus douloureuses et plus meurtrières que celle menée en Algérie, sans pour autant que cela pèse négativement sur leurs cordiaux rapports actuels.
Complexe d’Œdipe
Cette idée de base reflète la méconnaissance du type d’État mis sur pied en Algérie, à partir de 1839. Un État d’essence coloniale, en charge d’un territoire, tracé à l’équerre et trois fois plus grand que sa métropole, devait fatalement se détacher d’elle à un moment ou un autre de son histoire. C’est comme les cas de l’Australie, des États-Unis, du Canada ou de la Nouvelle-Zélande par rapport au Royaume Uni, pour ne citer que ceux-là. Par ailleurs, basé sur des discriminations à l’encontre des autochtones, il assumait une forme d’Apartheid qui devait entrer en conflit avec les valeurs de la République. C’est dire que les velléités d’indépendance n’étaient pas que du côté des « indigènes ». Cela s’était vérifié lors de la tentative de putsch des généraux en 1961, quand ceux-ci comprirent que De Gaulle les lâchait. Si l’OAS avait remporté la guerre, ses partisans auraient de toute façon proclamé leur indépendance vis-à-vis de la France. C’est le complexe d’Œdipe à l’échelle des États.
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Cette volonté de défier la métropole a été exacerbée au lendemain de la passation de pouvoirs, en 1962, entre Paris et Alger, non pas à cause des douleurs de la guerre, ceux qui ont pris le pouvoir n’y avaient pas participé (c’étaient des « planqués » au Maroc et en Tunisie), mais à cause de ses multiples fragilités fondamentales. Depuis sa naissance à ce jour, l’État algérien est un État sans nation, chargé de gouverner des nations sans État (Kabyles, Touaregs, Chawis, Mozabites, Hartanis, …). C’est un État illégitime car aucune de ses nombreuses constitutions n’est issue d’une assemblée constituante. Il ne peut donc survivre que sous forme d’une dictature qui, pour se donner un minimum d’assise sociale, se doit de verser dans une forme de populisme. C’est ce populisme qu’il doit nourrir en permanence par des défiances et des bravades contre la France (la cible évidente), mais aussi contre Israël, le Maroc et les États-Unis. Et quand il trouve un terrain sensible à son chantage, il pousse indéfiniment son avantage. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas prendre au sérieux les récurrentes demandes de repentance émanant des officiels algériens, car destinées à une consommation interne. L’un des mérites du « rapport-Stora » est justement d’y opposer une fin de non-recevoir.
Quant à l’erreur de casting, elle réside dans le fait de demander à un historien d’apporter des solutions politiques qui ne relèvent pas de son domaine. Quand le politique a besoin de convoquer l’affect, il aurait été plus judicieux de s’adresser à un « psy ». L’historien n’est pas un bricoleur d’éteignoirs de « mémoires enflammées ».
L’impasse sur la Kabylie
Toutefois, quand bien même ce rapport n’avait pas à réécrire l’histoire, il n’avait pas à faire l’impasse sur la Kabylie qui, de bout en bout de la colonisation, était l’acteur principal de la résistance, puis de la guerre d’Algérie. Il prolonge scandaleusement, à son tour, un déni et une sanction historique officiels. La France a pardonné à l’Allemagne ses guerres les plus meurtrières mais refuse de passer l’éponge sur la résistance kabyle contre sa domination coloniale.
La Kabylie, d’essence démocratique, est la mère de la liberté et de la dignité face à tous ceux qui ont essayé de coloniser la région. Elle a combattu la domination turque, puis française et, aujourd’hui, elle se bat encore contre la domination algérienne.
Ce rapport, en refusant de lui restituer sa place dans l’histoire liée à l’Algérie coloniale, loin de l’enterrer, lui fait juste constater que l’Histoire est un champ de batailles aussi impitoyables qu’interminables et dans laquelle elle se donne le droit de reprendre ce qui lui appartient. Et qu’on se le dise : tant qu’elle n’aura pas recouvré la plénitude de sa souveraineté, elle restera un facteur aggravant de l’instabilité régionale.
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Cependant, il faut écouter Stora dont le rapport ne doit pas être réduit à ses propositions mal accueillies. Il dit des vérités simples qu’il serait bon de prendre au pied de la lettre, telle que celle-ci : « Les polémiques sur le passé, de la conquête coloniale française au XIXe siècle à la guerre d’Algérie des années 1950, ne cessent de rebondir. Dans ces querelles incessantes, il est possible de voir la panne de projets d’avenir entre les deux pays ». Il n’y a pas que « panne » mais faillite de tout projet d’avenir entre la France et l’Algérie. Il serait temps que la France change de vision sur ses anciennes colonies. Il y a lieu de réaliser que le fait d’avoir fracturé délibérément des peuples par des frontières aux fonctions de rideau de fer, d’avoir fait des États-pays comme des centres de concentration des peuples, est un grand crime. Il ne s’agit pas de s’en laver les mains au prétexte que « celles et ceux qui détiennent entre leurs mains l’avenir de l’Algérie et de la France n’ont aucune responsabilité dans les affrontements d’hier » (dixit Emmanuel Macron). Soutenir, de nos jours, les dictateurs africains contre les aspirations des peuples à la liberté est du même ordre que le fait colonial ainsi dénoncé.
La Kabylie comme des centaines de peuples, en Afrique et en Asie, demandent réparation non pas matérielle ou symbolique mais politique : revenir, conformément aux conventions internationales, à l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Réhabiliter ce droit pour le peuple kabyle et pour tous ceux qui le demandent, participerait incontestablement à la reconstruction d’un monde et d’une humanité apaisés et réconciliés.
Exil, le 23/01/2021.
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