Du Canada à l’Argentine, les statues tombent comme des mouches. Justin Trudeau est allé jusqu’à donner des gages à ceux qui souhaitent annuler la fête nationale, disant que le Canada doit rectifier ses torts envers les peuples autochtones. Il a demandé au pape de venir au Canada «pour s’excuser directement pour les erreurs du passé».
Le déboulonnage de statues est reparti de plus belle en Amérique du Nord, en particulier au Canada, où une tragédie coloniale est remontée à la surface.
La découverte de nombreux corps d’enfants sur le site d’anciennes écoles éclabousse le système des pensionnats indiens, lequel visait l’assimilation de jeunes Autochtones à la culture occidentale. En réaction aux événements, Justin Trudeau a proposé « d’annuler » la fête du Canada du 1er juillet dernier, croyant représenter une pureté morale qui n’a jamais existé. Sur les réseaux sociaux, le mouvement #CancelCanadaDay a fait son apparition.
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La fête nationale a pris la forme d’un grand deuil, bien que les circonstances exactes des décès soient toujours inconnues.
Purger les Amériques de la « blanchité »
Il y a quelques années, le mouvement décolonial a aussi gagné l’Amérique latine. Hélas, là aussi, le but n’est pas de reconnaître et si possible, réparer les erreurs du passé (sur quoi existe un quasi-consensus), mais de « canceller » les Amériques conformément à la cancel culture. De Montréal à Buenos Aires, partout s’impose la même idéologie révisionniste visant à déconstruire une bonne partie du patrimoine matériel et immatériel. Il ne s’agit pas de bonifier la mémoire, c’est-à-dire d’ajouter des pierres à l’édifice, mais de retirer les matériaux contraires au nouveau récit antioccidental. On ne veut pas ajouter des nuances au tableau – par exemple en érigeant de nouvelles statues –, mais expulser la « blanchité » de l’imaginaire américain. C’est une purge.
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Sans surprise, cette entreprise révisionniste passe par le rejet de l’héritage chrétien et catholique en particulier, toujours associé à un vaste génocide perpétré sur le continent en entier. Bien sûr, l’Église catholique est coupable de divers crimes dont il faut prendre conscience, mais encore une fois, toutes les nuances sont éliminées pour laisser le champ libre à une grande fresque manichéenne, caricaturale et anachronique. Les approches anglaise, française, espagnole et portugaise en matière de colonisation sont mises dans le même sac, sans tenir compte de la réalité historique.
Personne ne songe, ou presque, à remettre en question cette légende noire du catholicisme et de l’Occident en général, pourtant la première civilisation à avoir aboli l’esclavage. Personne ne songe à opposer un Bartolomé de las Casas à un Juan Ginés de Sepúlveda. Dans le Nouveau Monde comme ailleurs, l’Église romaine a fait autant de bien que de mal. Les absolus n’existent pas dans l’histoire. En Nouvelle-Espagne, contre l’interdiction de la Couronne, ce sont des catholiques qui, les premiers, sont parvenus à faire pénétrer les idées républicaines. Puisque les marchandises des congrégations n’étaient pas fouillées aux douanes, leurs membres ont fait venir une panoplie de livres prohibés aux propositions libérales. Les idées qui allaient mener à l’indépendance des premiers pays latinos, et plus tard, remettre en question la pyramide raciale propre au régime colonial.
Les décoloniaux contre le continent de la (vraie) diversité
Comme toutes les civilisations sur Terre, les Amériques sont imparfaites, mais renferment le trésor que les décoloniaux sont tant censés chérir : celui de la diversité. Pas de la diversité comme politique racialiste et essentialiste, mais comme brassage des différences ayant engendré ces sociétés nouvelles, métissées et extrêmement dynamiques sur plan culturel. Pas de la diversité comme ségrégation multiculturaliste, mais comme produit d’une humanité inéluctablement appelée à être mélangée sur les terres des Amériques, si propices aux rapprochements.
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Dans son histoire de l’Amérique latine, Carlos Fuentes retrace l’émergence d’une civilisation forcée très tôt d’apprendre à composer avec l’Autre. Avant de tomber sur les Amérindiens, les Espagnols venaient de passer des siècles à combattre les musulmans d’Andalousie, mais aussi à évoluer à leurs côtés, quelques fois dans une harmonie relative. Dans Le Miroir enterré (1994 en version française), le célèbre romancier mexicain évoque cette « galaxie d’oppositions » ayant accouché de cette latinité américaine, identité bien plus précieuse que tout l’or convoité par les Espagnols.
La colonisation de l’Amérique est irréversible. Du Canada à l’Argentine, l’Amérique est le fruit d’une rencontre brutale, mais féconde. Les pays américains peuvent et doivent favoriser la réconciliation avec les peuples autochtones et noirs, en revanche, il est impossible de revenir en arrière. Inutile de déboulonner Christophe Colomb : c’est une utopie, mais comme toutes les utopies, elle peut faire des ravages.
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