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Les décoloniaux veulent faire table rase du Canada

Détruire pour mieux reconstruire


Les décoloniaux veulent faire table rase du Canada
Le Premier ministre canadien Justin Trudeau à Ottawa le 18 février 2020. © Sean Kilpatrick/ AP/ SIPA

Réécrire l’histoire au lieu de la compléter, détruire une culture au lieu de la faire avancer: les décoloniaux sont les fascistes de notre temps. Le projet d’un nouvel oléoduc aura suffit à des militants autochtones et écologistes pour bloquer le réseau ferroviaire canadien… Trudeau est largué.


Le Canada se remet à peine d’une crise majeure qui a commencé le 6 février dernier, lorsque des militants amérindiens, écolos et décolonialistes ont bloqué des voies ferrées pour protester contre un projet de pipeline dans l’Ouest. Les Premières Nations ne croient plus aux beaux discours de Justin Trudeau sur la «réconciliation». La bien-pensance s’est retournée contre elle-même: le petit prince boréal doit maintenant faire face à des courants qu’il pensait représenter.

 Le Canada à la croisée des chemins de fer

Certaines revendications des groupes indigènes sont légitimes – les réserves indiennes incarnent une sorte de tiers monde intérieur –, mais cette crise a amplifié une radicale tentation révisionniste qui ne prendra pas fin avec le démantèlement des barricades. C’est encore une fois toute l’histoire du Canada qui est remise en question, et pas seulement certaines lois ségrégatives de l’État fédéral relatives aux populations concernées. Des militants amérindiens et pro-Amérindiens revendiquent désormais régulièrement le retrait de monuments patrimoniaux et de statues de grands personnages historiques. Les antiracistes 2.0 sont les iconoclastes de notre temps: ils veulent détruire les idoles jugées contraires au nouvel ordre politique.

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De Montréal à Buenos Aires en passant par New York, les décoloniaux revisitent les traces du passé, arpentant les rues et les parcs à la recherche des plus beaux trophées à abattre. D’ici quelques années, l’espace public pourrait avoir été complètement épuré. Quand les statues des pères fondateurs de l’Amérique ne sont pas déboulonnées, des notices sont ajoutées à leurs côtés. «Avertissement: ce personnage ne s’est pas suffisamment montré respectueux des peuples autochtones», peut-on lire dans un langage jugé subtil reflétant le politiquement correct. «L’Occident est mauvais», lit-on entre les lignes. «Ce pays n’aurait jamais dû être fondé»: tel est toujours le message sous-jacent.

Les décoloniaux, ces conquistadors progressistes

Paradoxalement, les antiracistes se comportent comme de nouveaux colonisateurs. Il ne s’agit plus de supprimer la culture amérindienne, mais la culture occidentale, considérée comme la dernière manifestation du diable. Les moyens ont changé, mais l’objectif est le même: le remplacement d’une identité par une autre, voire par plusieurs autres. Il ne s’agit plus de convertir les «sauvages» au christianisme, mais les peuples occidentaux au multiculturalisme. Dans l’Égypte ancienne, des pharaons s’empressaient de détruire les statues de leurs prédécesseurs pour affirmer leur pouvoir et marquer une rupture avec le passé. Sous le masque de la vertu, les antiracistes veulent accéder au sommet: c’est leur propre buste qu’ils veulent ériger.

En mars 2018 au Québec, une plaque commémorative fixée sur le mur d’une banque montréalaise a fait l’objet d’une polémique prémonitoire. Rappelant la victoire du fondateur de Montréal, Chomedey de Maisonneuve, sur les Iroquois en 1644, la plaque n’était plus jugée conforme à l’orthodoxie décoloniale: elle sera retirée à la suite du dépôt d’une plainte par un citoyen. «À proximité de cette place à laquelle l’on donna par la suite le nom de place d’Armes, les fondateurs de Ville-Marie affrontèrent les Iroquois qui furent vaincus. Au cours de la bataille, en mars 1644, Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, tua le chef indien de ses propres mains», était-il écrit dans un style hagiographique.

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Toujours plus avares, des militants décoloniaux proposent maintenant de détruire le célèbre monument en l’honneur de Maisonneuve érigé en 1895 au centre de la place d’Armes, en face de la banque en question. Déboulonner Maisonneuve, ce serait déboulonner Montréal, comme déboulonner Colomb revient à déboulonner l’Amérique au complet.

Tout déconstruire pour tout reconstruire

Cette entreprise décoloniale s’inscrit par le fait même dans une vision puritaine de l’espace public. Il s’agit toujours «d’offenser» le moins de communautés possibles, comme si leurs membres devaient évoluer dans un environnement aseptisé, vierge de toute occidentalité. Il y aurait seulement des bourreaux et des victimes, et ces dernières devraient maintenant prendre leur revanche. Les gens issus des communautés culturelles seraient incapables d’accepter la moindre altérité historique: tellement fragiles, ils devraient être encadrés par une charpente immaculée aux allures de page blanche. Cette vision se veut antiraciste, mais elle est paternaliste et infantilisante.

Aux côtés des Français et des Anglais, les Amérindiens sont l’un des peuples fondateurs du Canada, même si leur rôle reste très secondaire dans l’édification des institutions canadiennes. Il est donc parfaitement normal de reconnaître leur apport. En revanche, la mémoire ne peut être charcutée selon le bon vouloir des courants politiques, qu’ils soient libéraux, nationalistes, conservateurs, multiculturalistes ou décoloniaux. Il faut bonifier la mémoire, et non la reconstruire de toutes pièces. Pour ce faire, il faut ajouter des briques à l’édifice, et non détruire l’échafaud qui le soutient à la manière des totalitaristes.

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Auteur et journaliste. Rédacteur en chef de Libre Média. Derniers livres parus: Un Québécois à Mexico (L'Harmattan, 2021) et La Face cachée du multiculturalisme (Éd. du Cerf, 2018).

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