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La gauche naïve, c’est fini!


La gauche naïve, c’est fini!

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Causeur. Outre vos mandats électifs, vous êtes depuis longtemps le spécialiste « Justice » du PS – et un candidat naturel au poste de garde des Sceaux.  Que vous a inspiré l’affaire du « mur des cons » ?
André Vallini[1. Avocat de profession, André Vallini est sénateur et président du Conseil général de l’Isère. En 2006, il a remarquablement présidé la commission parlementaire sur  l’affaire d’Outreau (avec son rapporteur l’UMP Philippe HOuillon). Il était en charge de la justice dans la campagne Hollande.]. Audiard aurait répondu que c’est une « affaire à la con »… Plus sérieusement, il faut rappeler que, dans un local syndical, les militants peuvent dire ce qu’ils ont envie de dire et afficher ce qu’ils souhaitent afficher. Certes, pour des magistrats, il y a des façons plus judicieuses de s’exprimer, mais c’est leur liberté ! Ce qui m’a choqué, en fait, c’est la présence de photos de parents dont les enfants ont été violés et assassinés. Ces parents ont certes des positions tranchées qui vont à l’encontre de celles du Syndicat de la magistrature (SM), mais c’est aussi leur liberté et je pense que le Syndicat aurait pu leur exprimer ses regrets. Cela dit, avec 30% des voix lors des élections professionnelles, le SM est loin d’être majoritaire. Et si ses adhérents ont le droit de revendiquer leurs opinions politiques, nous devons faire confiance à leur éthique pour rendre la justice en toute impartialité.

Justement, on dirait que, pour eux, ceux qui ne partagent pas leurs opinions sont des salauds, des cons, ou les deux. Or, cette conception binaire du monde reste celle d’une partie de la gauche….
La gauche a, c’est vrai, souvent tendance à « diaboliser » ses adversaires. Sur le mariage gay, on aurait évité beaucoup de dérapages en respectant les opposants de bonne foi, sans chercher à les ridiculiser, ce qui ne pouvait qu’aboutir à les radicaliser.
Revenons à nos juges et à leur pouvoir. Il est difficile de ne pas penser que le juge Gentil voulait « se faire » Sarkozy…
En l’occurrence, le juge Gentil travaille sur le dossier Bettencourt avec deux autres magistrats. Et en admettant même qu’il ait voulu « se faire »  Sarkozy, comme vous dites, il eut fallu que ses deux collègues fussent dans le même état d’esprit. J’ajoute que l’ancien président a pu user des voies de recours, car au-dessus du juge d’instruction, il y a la chambre de l’instruction de la cour d’appel. En fait, il est très difficile pour un magistrat d’« abattre » un homme politique si le dossier est vide. Et heureusement ![access capability= »lire_inedits »]
Sauf que la chambre de l’instruction invalide très rarement les décisions des juges. Si on en croit Me Kiejman (voir page 50), elle devrait être réformée…
Il faut effectivement lui donner les moyens de consacrer le temps nécessaire aux dossiers, pour éviter qu’elle ne soit qu’une chambre d’enregistrement, comme ce fut le cas dans l’affaire d’Outreau.
La gauche dénonce volontiers les entraves à l’indépendance de la Justice. François Hollande, pour sa part, a déclaré : « Je veux une Justice indépendante, mais pas trop. » Est-ce une bonne formule ?
D’abord, concernant l’indépendance, on pense surtout aux affaires politico-judiciaires, qui défrayent la chronique mais ne représentent qu’une partie marginale de l’activité judiciaire. Ensuite, il faut toujours distinguer les magistrats du siège, qui jugent, de ceux du parquet, qui poursuivent. Les premiers sont statutairement indépendants et inamovibles et personne, sauf de manière ponctuelle et marginale, ne songe à remettre en cause leur indépendance.
Mais c’est l’indépendance du parquet qui est l’objet de toutes les polémiques…
Depuis la Révolution française, le pouvoir a toujours essayé de mettre son nez dans le fonctionnement de la Justice par le biais du parquet. C’est seulement en 1997 que le gouvernement Jospin s’est interdit de donner au parquet des instructions individuelles de nature à dévier, entraver ou ralentir le cours de la Justice. Cette pratique vertueuse était inscrite dans la loi « chancellerie-parquet » dont je fus le rapporteur à l’Assemblée nationale en 1998. Mais Jacques Chirac l’a bloquée car il n’était pas certain de pouvoir faire adopter la révision constitutionnelle nécessaire.
Faut-il, aujourd’hui, remettre cet ouvrage de la gauche sur le métier ?
La loi qui est en discussion interdira les instructions individuelles mais permettra au ministre de la Justice de donner des directives de politique pénale aux magistrats. Chaque procureur devra rendre compte de leur application et, chaque année, le ministre de la Justice devra faire de même devant le Parlement. La République, une et indivisible, doit être administrée, y compris sur le plan pénal, par le gouvernement sous le contrôle du Parlement.
Est-ce une position majoritaire ?
J’espère que oui, même si certains magistrats rêvent d’un parquet totalement livré à lui-même et, qu’à l’inverse, chez les politiques, il y a sans doute des nostalgiques d’un parquet aux ordres…
Le soupçon de politisation n’est pas le seul ingrédient de l’insatisfaction des citoyens. Beaucoup pensent que leur Justice ne les protège pas contre la délinquance et le crime. Pensez-vous qu’il existe un problème de sécurité ou qu’il s’agit simplement d’un « sentiment d’insécurité » ?
Le « sentiment d’insécurité », c’est ce qu’invoquait la gauche il y a vingt ans ! C’est ce que je faisais moi-même en 1993, pendant la campagne pour les législatives, alors que, dans toutes mes réunions, les gens me parlaient de « sécurité ». Ce déni du réel est aujourd’hui révolu : dans une société de plus en plus violente qui génère des problèmes croissants d’insécurité, la gauche doit être d’une clarté et d’une fermeté totales.
Dans ce cas, pourquoi ne pas donner aussi des directives aux juges du siège par le biais des peines-planchers ?
Je sais bien que, dans notre pays, on révère publiquement Montesquieu tout en admirant secrètement Napoléon, mais la séparation des pouvoirs est un principe intangible sur lequel il faut être intransigeant.
Je vous rappelle que les peines-planchers ont été approuvées par le Conseil constitutionnel…
Elles n’ont été approuvées que grâce à la possibilité d’y déroger inscrite dans la loi. Pour autant, les magistrats du siège ont vécu cette réforme comme une marque de défiance et une volonté de limiter leur marge d’appréciation. De fait, quand ils refusent d’appliquer la peine-plancher, les juges doivent motiver ce choix, ce qui alourdit leur travail. Mieux vaut leur faire confiance pour apprécier au cas par cas la peine que mérite celui qui leur est présenté.
Il n’est pas certain que l’opinion apprécie ce signal, alors que seule une faible proportion des délinquants doit répondre de ses actes, qu’une proportion encore plus faible est condamnée, et que nombre de condamnés n’effectuent même pas leur peine !
Il y a, c’est vrai, un « paquet » de 80 000 peines non exécutées. Cet engorgement pose un vrai problème de crédibilité à l’institution judiciaire et alimente le sentiment d’impunité des voyous qui révolte les citoyens honnêtes. À juste titre ![/access]

Juin 2013 #3

Article extrait du Magazine Causeur



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Elisabeth Lévy est journaliste et écrivain. Gil Mihaely est historien.

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