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Justice pour Actéon!

L’éditorial de janvier d’Elisabeth Lévy


Justice pour Actéon!
La journaliste Elisabeth Lévy © Photo : Pierre Olivier

Casseuses de bonbons néoféministes et peine-à-jouir islamistes pourraient communier dans la détestation d’Actéon, comme ils le font dans la haine de l’Occident. Ce malheureux qu’on nommerait aujourd’hui « porc » fait un parfait bouc émissaire intersectionnel.


Avec les islamistes en culottes courtes[1] qui peuplent désormais nombre de nos établissements scolaires, on apprend en s’amusant. Comme vous, j’avais un peu oublié Ovide –qu’on a évidemment tous lu en VO. Et particulièrement cet épisode des Métamorphoses où Actéon, s’égarant au cours d’une chasse, surprend Diane et ses copines se baignant en petite tenue. Or, le fripon semble prendre un certain plaisir à cette contemplation non consentie. Chasseur et prédateur : le crime est signé.

Ces replètes baigneuses, qui ont inspiré de nombreux peintres, ont créé un mini-scandale au collège Jacques-Cartier d’Issou (Yvelines). Dans un cours de sensibilisation à l’art, une prof de français montre à une classe de sixième un tableau du xviie siècle intitulé Diane et Actéon[2]. On imagine que certains émettent ces gloussements forcés exprimant le mélange de gêne et d’excitation de garçons travaillés par les hormones. Mais il s’en trouve quelques-uns, une « poignée » selon le rectorat, pour proclamer leur dégoût, et détourner les yeux. Haram !

Puis la machine à rumeur s’emballe, on parle de propos islamophobes et racistes. Des parents récriminateurs s’en mêlent. Le ministre se déplace. On apprend que, depuis la rentrée, un groupe de familles musulmanes de sixième, donc nouvellement arrivées, pourrissent la vie de l’équipe pédagogique par leurs incessantes critiques et réclamations. Air connu : éternels offensés, jamais responsables de rien.

J’ignore si la réaction de l’État est allée au-delà de la mobilisation de « référents Valeurs de la République ».

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En attendant, l’incident est emblématique du choc des cultures qui ébranle la société et singulièrement l’École. En refusant d’admirer un corps nu, les petits bigots rejettent le cœur de l’art occidental : les noces tumultueuses de l’érotisme et de la culpabilité. Bien sûr, ils n’en savent rien, tout comme ils ignorent que l’emprise religieuse exerce chez eux, dans toute son effectivité, sa fonction de répression sexuelle, passablement amoindrie en Occident. L’ironie grinçante de l’époque est que cette religiosité de coincés ait trouvé des alliés à l’avant-garde du monde libéral. Islamisme et néoféminisme, même combat – contre le désir, les hommes, la littérature et les talons aiguilles. En un mot, contre la sexualité.

Si les collégiens pudibonds d’Issou et leurs parents étaient capables de symbolisation et de conceptualisation, ils ne se seraient pas arrêtés au spectacle si choquant de femmes dévêtues. Au contraire, ils auraient apprécié la très convenable morale de l’histoire et sa fin, particulièrement édifiante. Ce sale petit voyeur d’Actéon, changé en cerf, finit dévoré par ses propres chiens (il ne mégotait pas sur le gore, Ovide). Ce destin cruel et inhumain suscite l’effroi et la pitié. Il faut que la mémoire d’Actéon soit vengée et son nom, réhabilité.

Casseuses de bonbons néoféministes et peine-à-jouir islamistes pourraient communier dans la détestation d’Actéon, comme ils le font dans la haine de l’Occident. Ce malheureux qu’on nommerait aujourd’hui « porc » fait un parfait bouc émissaire intersectionnel. Pour la bonne raison qu’il s’octroie la liberté que vomissent pareillement islamistes et féministes. Ce corps humain jeté aux chiens parce que c’est un corps de mécréant fait penser – pardon pour l’image – aux corps juifs suppliciés du 7 octobre.

Jeté aux chiens, c’est aussi, quoiqu’en termes métaphoriques, le sort que les ligues de vertu féministes réservent à tous les hommes qu’elles accusent de turpitudes et cochonneries – c’est-à-dire à tous les hommes célèbres, l’extension continue du domaine du viol permettant de ratisser large. Chaque jour, un artiste ou un people est jeté aux chiens de garde de la funeste révolution #Metoo et dépecé sous les hourras numériques des tricoteuses fanatiques. Si t’as pas été accusé de viol à 50 ans, t’as raté ta vie d’artiste. Cependant, nos mangeuses d’hommes ont peut-être présumé de leurs forces en s’attaquant à Depardieu (lire à ce sujet la défense implacable de Yannis Ezziadi). Elles vont avoir du mal à recracher notre monstre sacré en pâtée pour chien. C’est même le contraire. Depardieu pourrait être l’os (ou le poulet entier) qui restera coincé dans leur gorge. En tout cas le premier coup sérieux porté à leur règne par la peur et l’intimidation. Que le président de la République ose braver la doxa néoféministe qu’il avait érigée en vérité officielle – « femmes on vous croit » ! – change le rapport de forces. Ou entérine le fait qu’il a changé. Peut-être que la roue tourne. Et que justice sera bientôt rendue à Actéon.

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[1] En vrai en jogging, mais on aura compris.

[2] Diane et Actéon, de Giuseppe Cesari.

Janvier 2024 – Causeur #119

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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