La police pourrait faire régner l’ordre dans les « quartiers » si elle en avait encore le droit. Législateurs, médias et surtout magistrats l’ont progressivement dépouillée de ses moyens et de sa capacité d’intervention. Il est temps d’entendre son cri d’alarme et de dégoût.
Un policier fonctionne en marge de la société, comme le chien de berger est en marge du troupeau. Et si celui-ci peut oublier sa condition de proie, c’est parce que celui-là ne dort jamais. Policier n’est pas un métier : c’est une vie. Le chien n’a pas à être aimé du troupeau, il n’a besoin que de pouvoir combattre librement le loup. Et pour cela, on ne doit pas le museler, ni lui lier les pattes, ni lui demander de soigner le troupeau. Le berger ne doit pas se mêler non plus de trouver des excuses au loup, et ce n’est pas parce qu’on lui promet d’augmenter sa ration que le chien acceptera qu’on le livre au loup.
Subversion politico-médiatique
La police n’a jamais été aimée – la gendarmerie, historiquement implantée dans des zones à dominante rurale dont les habitants ont des valeurs plus saines, bénéficie d’un a priori plus favorable. Dans les sociétés latines, vouloir changer cela est peine perdue, raison pour laquelle les comparaisons oiseuses avec des polices anglo-saxonnes ou nordiques sont d’une stupidité abyssale. Dans un pays comme la France où chacun conteste tout, où les règles les plus absolues ne sont plus vues que comme simples bases de négociation, la police doit tout simplement être respectée, voire crainte, car c’est le seul moyen de stopper les protestations et récriminations autrement perpétuelles. Et pour cela, elle dispose de deux moyens : la force dont elle est capable de faire preuve et l’assurance pour ceux qui veulent s’y opposer de subir les foudres de la justice.
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Évacuons d’abord rapidement la question des moyens : s’ils font partie du problème, ils n’en sont pas le cœur. Pour donner un seul exemple qui suffit à résumer la misère matérielle dans laquelle la police travaille depuis toujours : dans les années 1980, le ministère de l’Intérieur était incapable de doter ses policiers d’un armement décent, au point que ces derniers avaient été autorisés, sur leurs deniers personnels, à acheter et à porter en service les armes de poing de leur choix. Cela n’empêchait pas qu’à l’époque, les auteurs de crimes et délits étaient recherchés, identifiés, interpellés et déférés devant la justice, puis condamnés et incarcérés. Et lorsqu’ils ressortaient de prison, ils craignaient encore davantage l’action des forces de l’ordre qu’avant d’y entrer.
Contrairement à ce que certains catastrophistes racontent, les forces de première et deuxième catégories suffiraient à reprendre en main le pays, si celui-ci acceptait les conditions de la reconquête. Et la première d’entre elles, pour les fonctionnaires et militaires concernés, serait de ne plus avoir à combattre leur peur. C’est bien moins celle d’être blessé, car tout membre des forces de l’ordre sait que ce métier est aussi un combat, que celle d’être crucifié à la moindre erreur, et même au moindre soupçon, par des politiques et des mass media haineux, suivis par la cohorte des dizaines de millions de charognards qui s’imaginent que leur appétit de violence virtuelle et d’histoires policières hollywoodiennes les a transformés en spécialistes du sujet, alors même que la quasi-totalité s’évanouirait à la vue d’une goutte de leur propre sang et brûle des bougies en sanglotant au moindre accident de la route. Et les policiers savent que le même public qui, actuellement, affirme soutenir inconditionnellement la police recommencera à lui cracher dessus aussitôt qu’une vidéo tronquée et retravaillée par la subversion politico-médiatique mettra à nouveau en cause une action policière.
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Comme l’a dit un ancien ministre de l’Intérieur, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Les policiers ne croient plus rien. Ils n’ont d’ailleurs même plus envie qu’on leur parle. Ni l’État ni le public et surtout pas les médias. Ils ne veulent pas d’adaptations du système, de nouveaux sparadraps, une nouvelle couche réglementaire ou légale, l’aumône de quelques dizaines d’euros supplémentaires par mois. Ils veulent un changement de paradigme. Ils veulent que chacun retrouve la place qui est la sienne dans une société normale, c’est-à-dire que les policiers soient vus pour ce qu’ils sont – des combattants aux frontières internes au pays, celles qui séparent la civilisation de la barbarie, l’ordre du chaos – et qu’on arrête de s’imaginer qu’on peut traiter les barbares comme des gens civilisés. Et que si l’on doit toujours appliquer les lois voulues par les gens civilisés, elles doivent l’être sans pitié, et même férocement, afin que les barbares en craignent à nouveau les conséquences.
Un système judiciaire en faillite
Le principal ennemi de ce changement de paradigme est bien évidemment, comme affirmé le 19 mai dernier par le responsable du plus important syndicat de policiers, le système judiciaire. Car la justice n’en a plus que le nom. Sous l’influence de l’irénisme, de l’excusisme et même de la haine subversive d’une certaine gauche, contre lesquels la droite n’a rien fait, la procédure inquisitoire propre au droit pénal français, au sein de laquelle policiers et magistrats enquêtent à charge et à décharge, a été dénaturée par l’apport d’éléments accusatoires issus du droit anglo-saxon, qui déséquilibrent la procédure en faveur des délinquants, multiplient les risques d’erreurs formelles et donnent à manger aux avocats en les faisant intervenir là où ils ne servent à rien en droit français. Et contrairement aux affirmations partisanes, cela n’augmente en rien les droits du mis en cause à être traité de manière équitable : cela ne fait que multiplier les occasions de vices de forme, avec libération du délinquant sur ces seules bases sans jugement sur le fond. Et ces risques sont présents non seulement au niveau policier, mais à tous les stades du procès pénal, puisque parquetiers et juges d’instruction ont eux aussi à avancer dans cette jungle sans cesse plus épaisse et mouvante.
Dans le même temps, au fil des décennies, à bas bruit, le législateur a également supprimé des dispositions de bon sens, telles que la présomption de légitime défense de tout citoyen réagissant à une intrusion de nuit à l’intérieur de son domicile ou les peines minimales, permettant à un magistrat de s’affranchir de la volonté du peuple de voir réprimer les crimes et délits, tout cela sous la même influence du lobby juridico-associatif pro-voyous, qui, à force de propagande, a réussi à faire admettre, contre l’évidence, que le système pénal était fait pour réinsérer et rééduquer, alors que son seul but a toujours été la protection de la société, réinsertion et rééducation n’en étant que deux des moyens annexes, dont le principal est la répression.
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Cette faillite d’un système judiciaire qui, il y a quarante ans, permettait encore de réguler la délinquance, a donc été voulue, en premier lieu par les magistrats, sur de seules bases idéologiques. Il est donc bien normal qu’on les accuse de laxisme, et bien anormal qu’ils ne puissent en être tenus individuellement pour responsables. Quant à leurs pauvres justifications, le manque de places de prison, les problèmes matériels ou leurs hypocrites affirmations sur la systématicité de la réponse pénale, les policiers s’en moquent. Être policier, c’est aussi avoir entendu toutes les excuses possibles pour justifier des méfaits les plus monstrueux. Un policier préfère considérer les faits.
La sacro-sainte indépendance des magistrats
Or, aucune organisation professionnelle de magistrats n’a jamais protesté contre l’impossibilité de la bonne application du Code pénal. Aucun juge ne s’est ému de la disparition des peines minimales, quand ils protestent tous ou presque contre leur retour. Et inutile d’évoquer une hypothétique « majorité silencieuse » de magistrats qui voudrait le retour du bon sens en matière judiciaire : le Syndicat de la magistrature ne s’étant jamais gêné pour prendre des positions allant du grotesque au scandaleux, les magistrats ne se sentent donc pas tenus par un quelconque devoir de réserve. Aujourd’hui, alors que militaires, policiers et gendarmes ont tous pris la parole malgré les risques disciplinaires, si les juges avaient voulu prendre publiquement position pour défendre le pays, ils l’auraient déjà fait.
La réalité, c’est que par pure idéologie donc, et malgré la faillite du système pénal, les magistrats se satisfont de continuer à mettre en œuvre des mesures alternatives totalement inefficaces, et à l’instar des tenants du pédagogisme dans l’Éducation nationale, affirment qu’il faut encore plus de moyens, et s’enfoncer toujours davantage dans ces politiques afin qu’elles deviennent efficaces, alors que cela fait déjà trente ans qu’elles échouent. Et pour dissimuler cette incurie, afin de faire passer ces gadgets et emplâtres sur jambes de bois pour une répression des crimes et délits dont souffrent les Français, ils les nomment « réponse pénale ».
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Les magistrats ne sont au fond soucieux que d’une chose : leur sacro-sainte indépendance. Au point que toute demande qui leur est adressée, par exemple de se sentir comptables de l’état du pays, est vue comme une tentative de faire pression sur eux ; au point qu’ils s’imaginent gardiens du droit, alors qu’ils n’en sont que les praticiens ; au point qu’ils se croient créateurs du droit par la jurisprudence, alors que c’est fondamentalement à la représentation nationale de décider de la loi, et qu’ils prétendent exprimer leur avis sur ce qu’elle vote au mépris du principe de la séparation des pouvoirs dont pourtant ils se revendiquent en permanence, bien qu’ils ne soient pas un pouvoir mais une simple autorité.
Finalement, ils en sont venus à s’imaginer qu’ils sont aussi indépendants de la volonté du peuple, au nom duquel ils prétendent pourtant rendre la justice, et ils se moquent éperdument des aspirations du pays, car ils sont égarés dans une vision désincarnée du monde, qui n’est en phase qu’avec leurs obsessions idéologiques.