Mal défendue par ceux qui la font, mal critiquée par ceux qui la commentent, mal vécue par ceux qui la sollicitent, la justice française mérite pourtant notre fierté collective. Comme toute discipline humaine, elle ne sera améliorée qu’à condition de lui faire davantage confiance.
La Justice fait partie de ces sujets sur lesquels chacun a son mot à dire sans que l’ignorance ou la superficialité soient un frein à l’envie citoyenne d’une expression en général d’autant plus péremptoire qu’elle ne se fonde, au mieux, que sur des expériences singulières et fragmentaires, au pire, que sur des poncifs récoltés partout.
Ce ne serait que la rançon de la démocratie si les politiques de droite comme de gauche n’étaient pas eux-mêmes sujets à des approximations et à des méconnaissances qui font douter trop souvent de la lucidité parlementaire. Avec cette particularité que, si l’idéologie compassionnelle gangrène certains députés et sénateurs, il y a des banalités prétendues progressistes qui malheureusement les touchent quasiment tous.
Ces approximations dont la tonalité est systématiquement pessimiste, loin d’être corrigées par la plupart des médias, sont au contraire renforcées par une vision qui conduit les journalistes, par une vision sélective ou, pire, partisane, à ne retenir de la réalité judiciaire que les erreurs ou les dysfonctionnements, de sorte que le citoyen de bonne foi, désirant s’informer, est implacablement plongé dans un bain critique, partiel, partial et pourtant péremptoire. Et je n’évoque pas seulement ce quotidien irremplaçable et contestable qu’est Le Monde, dont l’idéologie jésuitique cache mal les préjugés malgré l’apparente objectivité du ton. En effet, on retrouve partout cette propension à dresser un tableau noir à partir duquel évidemment on décrète l’institution judiciaire en crise, régulièrement moribonde.
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Il serait malhonnête de ne pas faire état, pour expliquer le catastrophisme ambiant sur la Justice et une forme de dérision ou de mépris à l’encontre des magistrats, de la responsabilité de ces derniers. En effet, il est clair que ceux-ci ne sont pas capables, en même temps qu’ils dénoncent légitimement certaines carences du service public dont ils ont la charge, de manifester la fierté qu’ils devraient éprouver à exercer ce magnifique métier, peu ou prou régulateur des rapports humains et de la vie sociale. Ce qui engendre le paradoxe d’une profession trop peu assurée d’elle-même, tendant trop volontiers l’autre joue, et en même temps indifférente la plupart du temps, au-delà de l’application et de l’interprétation de la loi, à la légitimité de ses comportements et de son action, telle qu’octroyée par le citoyen, par l’opinion publique. Elle ne porte pas haut son pavillon, mais relègue ceux qui, par le choix ou la contrainte, justiciables, victimes, prévenus, accusés, ont affaire avec elle. Pourtant le citoyen, posant son regard critique sur l’institution, s’occupe de ce qui le regarde, il n’est pas un intrus dans un monde dont il devrait être le centre.
L’ensemble de ces données met en lumière les raisons pour lesquelles, au sujet de la Justice, deux populismes se cumulent dont la définition pourrait être la détestation par l’humeur ou l’hostilité par condescendance. La première est celle du peuple et j’éprouve de l’indulgence à son égard, car comment pourrait-elle s’exprimer autrement, nourrie qu’elle est exclusivement par ragots, rumeurs, éructations et simplismes ? La seconde est celle des élites, une sorte de populisme chic qui est d’autant plus navrant qu’au lieu d’une dénonciation constante, on aurait pu attendre des intellectuels et essayistes qui s’y adonnent lucidité, mesure, exigence de vérité et prudence républicaine. Ce n’est pas parce que les caricatures émanent d’Alain Finkielkraut ou d’Éric Zemmour qu’elles sont respectables. C’est un double poison : le premier instinctif, le second distingué !
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J’ai si souvent ressenti ma faiblesse à argumenter sur le fond, parce que le socle auquel je cherchais à m’opposer était trop sommaire, vague, superficiel et pourtant péremptoire qu’il m’est apparu nécessaire de tenter de démontrer, avant, pourquoi il était redoutable, précisément parce qu’il était sans structure ni cohérence.
Ce n’est pas fuir le débat sur le laxisme réel ou prétendu de la Justice ou les mille controverses tenant aux prisons, à la récidive, à la rapidité et à l’efficacité de ce service public. J’insiste sur cette expression parce que je n’en connais pas de plus noble : être au service du public, les discussions d’école sur le pouvoir ou l’autorité n’ayant en définitive que peu d’intérêt, les pratiques de chacun faisant la différence.
Il y a quelques évidences qu’il est bon de rappeler, en les sauvant du double discours contradictoire d’un progressisme niais et sulpicien ou de pulsions répressives mal maîtrisées.
Contre ceux qui réclament une fermeté extrême pour toutes les infractions qui apparaissent, chaque jour, au premier plan de l’actualité, il faut rappeler qu’une hiérarchie des gravités est à considérer et qu’on ne saurait traiter, sur le plan pénal, le moins ou le plus transgressif, les délits ou les crimes sur le même mode.
Il convient aussi de souligner que l’acte de juger impose d’intégrer, au regard d’une qualification pénale, entre un minimum et un maximum de la sanction prévue, les multiples comportements à évaluer différemment selon la gravité des faits et la personnalité de leurs auteurs.
Par ailleurs, au risque de tomber dans la pire des justices – la justice pour l’exemple où l’idéologie et sa réponse toute faite étouffent le singulier et la nuance –, il est fondamental, à chaque fois, de donner la part exclusive à ces derniers. Le judiciaire, c’est d’abord une histoire personnelle, un destin unique qui a fauté. On ne peut pas se contenter d’une justice « en gros » quand elle exige une sophistication au détail.
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Que de poncifs traînent dans les programmes avec parfois l’influence délétère de la gauche – qui parvient à se faire passer pour la dépositaire de valeurs pourtant universelles – sur la droite gangrenée par contagion ! Quelle absurdité de soutenir que la prison est l’école du crime quand beaucoup, avant d’y entrer, ont fait des brouillons avant, quelle délicieuse mais fausse bonne conscience de prétendre que l’enfermement est créateur de la récidive quand c’est le récidiviste, sa liberté, sa responsabilité qui l’engendrent ! On constate ainsi qu’il peut y avoir plus d’humanisme honorable dans cette reconnaissance de l’individu que dans l’obsession des culpabilités périphériques !
Le système de l’exécution des peines, sans l’efficacité et la rigueur duquel le pénal devient si peu effectif, quasiment lettre morte, est laissé à l’abandon parce que bizarrement on a besoin de l’alliance entre une volonté répressive de principe et un adoucissement constant dans les modalités carcérales ou non.
De la même manière on continue, peu ou prou, et parfois même chez certains magistrats, à ressasser que la société est coupable quand le délinquant ou le criminel ne le serait pas. Cette ineptie à la vie dure et rassure ceux qui ont absolument besoin de croire que la nature humaine est bonne ou dévoyée par d’autres qu’elle.
Je pourrais continuer à égrener quelques observations qui auraient la même finalité : faire comprendre que la Justice n’est pas un service public comme les autres (on fait appel à lui en dernier recours), qu’elle a le devoir de se plier, pour le citoyen, à des règles de simplicité, d’efficacité, de compréhension et d’écoute, qu’elle n’est pas constituée d’Outreau au quotidien mais que, si elle manque de moyens humains et matériels, elle est cependant méritante, dévouée, fondamentale dans une démocratie qui se plaît à la critiquer tout en amplifiant paradoxalement la judiciarisation.
Qu’on m’entende bien : une authentique politique judiciaire a pour mission de veiller au bon fonctionnement de toutes les sortes de justice pénale, civile, commerciale, sociale, mais demain on ne pourra pas faire l’économie de la restauration de peines plancher autrement conçues et d’une réflexion très élaborée et menée à terme sur la responsabilité des magistrats.
Ceux-ci ne doivent jamais oublier que, s’ils ont l’honneur et le droit de juger, la société, elle aussi, a le privilège de les observer, de les critiquer ou de les respecter.
Cela oblige les uns comme l’autre.