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Justice: Emmanuel Macron entre mépris et récupération…

Emmanuel Macron prononce à Bordeaux un discours sur les thèmes police et Justice


Justice: Emmanuel Macron entre mépris et récupération…
Bordeaux, 9 fevrier 2024. Le président Macron assiste à la prestation de serment de plus de 450 auditeurs de Justice réunis au Palais des Congres en présence du ministre de l'Iterieur Gérald Darmanin et du ministre de la justice et garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti © SEBASTIEN ORTOLA-POOL/SIPA

Vendredi 9 février, Emmanuel Macron a assisté à la prestation de serment d’une promotion annuelle de l’École nationale de la magistrature, à Bordeaux. L’ombre de Robert Badinter planait au-dessus de l’évènement. Philippe Bilger rappelle que, malgré les mots sages contenus dans ce discours de notre président, ce dernier a démontré depuis 2017 qu’il ne tenait pas en haute estime les magistrats.


Le vendredi 9 février, le jour de la mort de Robert Badinter, le président de la République est à Bordeaux et il prononce un discours devant 459 auditeurs de justice – une promotion historiquement élevée – à l’École nationale de la magistrature dont l’ancienne avocate qui la dirige, Nathalie Roret, n’est pas dénuée d’idées pertinentes et d’actions valables. Alors que j’analyse son rapport général avec l’institution judiciaire et la Justice comme un mépris à peine dissimulé et une récupération assumée, il y a tout de même dans son allocution des propos qui ne peuvent que me réjouir puisque je n’ai cessé de réclamer du service public de la justice rapidité et efficacité. Au service précisément du public.

Partiellement lucide

Quand Emmanuel Macron affirme que « nous devons diviser les délais de notre justice par deux d’ici à 2027 ; ce n’est pas un objectif, c’est un impératif… cette rapidité est source de légitimité… Si la justice ne gagne pas en efficacité, en proximité, en célérité, alors, qu’on se le dise, chacun trouvera toujours d’autres moyens de juger les litiges, chacun les trouve d’ailleurs déjà : par l’opprobre médiatique, par le bannissement social, au mépris de la présomption d’innocence », il a évidemment totalement raison. Le citoyen doit être notre juge bien davantage que la bureaucratie administrative et ministérielle qui inspire, domine et étouffe. Mais cette lucidité ponctuelle est gâchée par sa vision structurelle du monde judiciaire et surtout de la magistrature elle-même. Comment peut-on être un bon berger quand, par mille signes, actions, abstentions ou nominations, on manifeste qu’on n’estime pas son troupeau ? Comment ce dernier pourrait-il être convaincu par un enseignement diffusé par un président avec si peu d’empathie ?

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Le président de la République a évidemment célébré Robert Badinter, en particulier pour son rôle capital dans l’abolition de la peine de mort en 1981, grandement facilité par un François Mitterrand à la fois provocateur (il avait beaucoup fait décapiter sous la IVe République) mais repentant.

En respectant le délai de décence, j’ai moi-même salué d’emblée sur CNews, Europe 1 et Valeurs actuelles cette personnalité exceptionnelle disparue, en rappelant ses brillantes et diverses activités, notamment avec les postes prestigieux qu’il a occupés, mais on peut aussi critiquer sa politique pénale comme l’a très bien fait Georges Fenech. Ses principaux éléments ont tous favorisé – à l’exception de l’heureuse abolition de la peine de mort – un laxisme porté par une idéologie très hémiplégique. Il suffit de relever qu’elle a été constituée essentiellement par des suppressions et des adoucissements. Il a fallu ensuite tenter de rattraper la rigueur perdue ! La société était moins à protéger que les principes d’une gauche si sûre d’elle-même… Bien sûr, le président ne pouvait pas être négatif mais un accord profond se laissait toutefois deviner entre cette philosophie pénale emplie de mansuétude et la faiblesse régalienne depuis 2017 malgré quelques voltes fluctuantes et sur le tard moins naïves.

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Présomption d’innocence, un nouveau culte macroniste

Je ne peux non plus éluder – même si j’en ai déjà trop parlé – la nomination provocatrice d’un remarquable avocat d’assises comme ministre, mais dont la particularité était d’avoir toujours dénigré le monde professionnel dont il aurait la charge. Maintenu lors du changement de gouvernement, mis en examen, relaxé par la CJR sans qu’un procureur général frileux tire par un appel les conclusions d’une décision juridiquement incohérente, renouvelé sous Gabriel Attal, son parcours manifeste le peu de crédit qu’Emmanuel Macron a attaché à la Justice. Son seul souci étant d’exprimer le sentiment condescendant que la magistrature lui inspirait et de n’être évidemment pas gêné par un Dupond-Moretti sur la même ligne, avant.

29 novembre 2023 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Un exemple déterminant de cette hostilité est le changement radical que le président a opéré sur la volonté initiale de faire démissionner les ministres mis en examen, avant d’effectuer un revirement manifesté par l’apparent culte de la présomption d’innocence. Comme si celle-ci ne relevait pas du seul plan judiciaire à gérer dehors par le mis en examen. Alors que son maintien, au contraire, mettait à bas sa légitimité politique et sa crédibilité dans l’action à l’égard des concitoyens. Il n’était pas très républicain d’assurer de sa confiance systématiquement tous les politiques et ministres de son bord mis en cause. Comme s’il faisait forcément l’impasse sur ce qui pouvait leur advenir judiciairement. Il n’était pas non plus d’une grande élégance de reprocher aux magistrats de vouloir composer, faire ou défaire les gouvernements comme si ceux-ci, saisis de soupçons de transgression de la part de certains ministres, avaient un autre choix que d’instruire sur eux. La circonstance que quelques-uns ont été relaxés n’infirme pas mon argumentation. Il y a eu des appels pour François Bayrou et pour Olivier Dussopt (pas reconduit comme ministre) et on a vu ce qu’il en était pour Dupond-Moretti. Les « prévisions de culpabilité » démenties, dont Emmanuel Macron se félicite, peuvent demain être révisées à charge.

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Il est pertinent de conclure que la violation de la sage « jurisprudence Balladur » – mis en examen, le ministre doit démissionner – révèle chez Emmanuel Macron, plutôt que l’apparent souci de la présomption d’innocence, la volonté de tenir pour rien, sur le plan politique, les décrets d’un univers judiciaire moqué par le président et son conseiller le plus proche, Alexis Kohler. Louis Hausalter dans cet article du Figaro a raison quand il écrit que « depuis qu’il est au pouvoir, le chef de l’Etat ne tient pas les magistrats en haute estime ». Emmanuel Macron a de la chance d’être en partie protégé par un double bouclier : celui des outrances politisées du Syndicat de la magistrature et celui de la passivité étonnante du corps judiciaire face à ce qu’il faut bien considérer comme un scandaleux discrédit présidentiel. Cette approche présidentielle, entre mépris et récupération, pourrait être aisément récusée par cette justice honorable et travailleuse dont elle se moque mais qu’elle prétend pourtant stimuler. En effet, citoyens, ces magistrats dédaignés ne pourraient-ils pas retourner le compliment à ce pouvoir tel qu’il est présidé en dénonçant sa légitimité à les juger quand lui-même serait évidemment condamné dans le cadre d’un procès équitable !

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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