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Le tribunal n’est pas le lieu de la guerre des sexes


Le tribunal n’est pas le lieu de la guerre des sexes
Action des Femen devant le palais de justice de Paris pour exiger la grâce de Jacqueline Sauvage, 25 novembre 2016. Photo: Jacques Demarthon

Madame Schiappa entend « mettre fin à l’impunité du harcèlement sexuel ». Ce qui serait un objectif louable s’il ne se faisait au prix d’une violation de tous les principes fondamentaux de la justice.


Les récentes évolutions du féminisme ne cessent d’inquiéter. Ceux qui pensaient que nous avions touché le fond avec ce qu’Élisabeth Badinter a qualifié de « féminisme victimaire » suivent depuis quelques semaines avec effarement la transformation de cette dérive en un phénomène encore plus atterrant : le féminisme délateur.

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Déjà, avec l’affaire Sauvage, les dérives du féminisme avaient permis de transformer une meurtrière en victime. Ses partisanes vont jusqu’à vouloir instaurer une prétendue « légitime défense différée », c’est-à-dire un permis de tuer. Maintenant, l’onde de choc provoquée par l’affaire Weinstein leur permet de pousser encore plus loin en déclenchant une déferlante de dénonciation. Si mon propos n’est évidemment pas de nier ou de minimiser la gravité des viols, harcèlements et autres agressions sexuelles, il me paraît absurde de considérer les femmes comme des créatures innocentes à la merci de millions de prédateurs lubriques.

Le féminisme délateur contre la justice

Ce psychodrame confronte le féminisme à trois impasses. Primo, comme le note le philosophe Philippe Forget, « le féminisme délateur recycle en creux tous les préjugés traditionnels sur la femme, (…) créature faible, plaintive, quasiment infantile, une mineure que l’État doit protéger ». Deuxio, il somme la justice d’atteindre des objectifs qui ne sont pas les siens, ce qu’elle ne saurait faire sans renoncer à nos libertés fondamentales. Tertio, à force de se polariser sur un patriarcat en plein recul, on fait peu de cas des actuels obstacles à l’émancipation féminine que sont l’individualisme triomphant et le fétichisme marchand. C’est la combinaison de ces deux éléments que l’on retrouve dans Elle. Si certains ont loué le courage du magazine féminin après que celui-ci a publié un éditorial d’hommage à Marie Trintignant en réponse à l’indécente couverture des Inrocks avec Bertrand Cantat, je trouve cette démarche bien hypocrite. Dans cet hebdomadaire érotisant la femme-objet à toutes les pages, on trouve un drôle de discours pseudo-féministe dénonçant la manipulation du corps féminin, avec des trémolos compassionnels pour la vraie victime que fut Trintignant. Une telle schizophrénie, alimentée par ce que les universités américaines qualifient de « récit de la victimisation » en l’enseignant aux étudiantes, entretient l’anxiété chez les jeunes femmes.

Désormais, c’est dans les prétoires que certaines voudraient mener une guerre des sexes. Soulignons au passage que la délinquance sexuelle, cause d’une incarcération sur trois en France, est un phénomène complexe. Malgré l’horreur qu’elle nous inspire, dans l’intérêt même de la société, il ne faut pas considérer les blocs de granit de notre justice – le droit au procès équitable, le secret de l’instruction, le débat contradictoire et loyal, la charge de la preuve et le bénéfice du doute – comme des fioritures. Ces principes visent, ni plus ni moins, à élaborer une vérité judiciaire permettant à l’État d’exercer son monopole de la violence légitime tout en évitant la condamnation d’innocents, impératif que la justice française a trop souvent considéré comme secondaire. La règle que nous impose le féminisme délateur selon laquelle il vaut mieux mettre en prison neuf innocents que de laisser en liberté un seul porc fait froid dans le dos.

Il n’y a pas de définition objective du harcèlement

Aux tricoteuses de la presse et des réseaux sociaux qui se déchaînent, je rappellerai que la présomption d’innocence n’est pas une incantation, mais une liberté protégée par la loi. Or, je n’ai cessé de lire des commentaires soutenant qu’ayant été accusé de viol, c’est désormais à Tariq Ramadan de prouver son innocence !

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Quant au harcèlement, il pose l’épineuse question de la parole de l’une contre celle de l’autre. À moins de considérer tout témoignage féminin comme parole d’évangile. Parce que le beau sexe, c’est bien connu, ne ment jamais… Pour compliquer encore les choses, il n’existe pas de définition objective du harcèlement. Or, une règle juridique de base exige qu’une infraction soit suffisamment précisée dans le Code pénal. C’est d’ailleurs à cause du caractère trop général de son texte que le Conseil constitutionnel avait légitimement annulé la loi sur le harcèlement sexuel votée en 2002. Contrairement à ce que laissent croire les lyncheurs, les accusations de harcèlement nous mettent face à une réalité extrêmement complexe. Objectiver certains comportements humains (comme une blague grivoise ou un geste ambigu) en les criminalisant purement et simplement ouvrirait une boîte de Pandore.

Hélas, les aberrations de cet acabit, mélange d’inculture juridique et de mépris des libertés, ne se cantonnent pas à la sphère électronique. Victime présumée de Denis Baupin, qu’elle accuse de harcèlement sexuel, la militante écologiste Sandrine Rousseau s’étonne ainsi que les policiers ayant enregistré sa plainte lui aient demandé la façon dont elle était habillée au moment des faits. Si ces messieurs lui ont semblé désobligeants, c’est parce qu’ils ont préféré anticiper une question que l’avocat de Denis Baupin n’aurait pas manqué de poser à Sandrine Rousseau. Dans l’intérêt même de la plaignante, la police a à cœur d’envoyer des dossiers solides au procureur. Bref, « mettre fin à l’impunité du harcèlement sexuel », comme le souhaite madame Schiappa, serait un objectif louable s’il ne se faisait au prix d’une violation de tous les principes fondamentaux de la justice.

« Il n’avait qu’à pas coucher. »

Pour parachever le vrai combat féministe, force est également de reconnaître l’accroissement continu des violences (physiques, morales, psychologiques) faites aux hommes par certaines femmes. Prenons l’exemple des fausses allégations d’abus sexuels qui ternissent un divorce sur quatre. Il est des mères qui n’hésitent pas à salir leur ex-mari à tout prix pour les priver de la garde des enfants. Ce phénomène aussi massif que méconnu brise des vies, lorsqu’il ne conduit pas au suicide les hommes calomniés.

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Depuis vingt ans, à la suite des progrès de l’ADN, un autre dévoiement de la justice est devenu un sport national : la « paternité forcée ». Qu’on s’en félicite ou qu’on le regrette, les femmes occidentales ont conquis de haute lutte le droit de dire « un enfant si je veux quand je veux » sans que l’homme n’ait son mot à dire. Par voie de conséquence, les procédures de recherche en paternité, assorties de demandes de coquettes pensions alimentaires, se sont multipliées – la plupart du temps à l’encontre d’hommes aisés. Sans s’émouvoir de pratiques aussi perverses, le féminisme délateur ricane et, empreint de ce nouveau puritanisme androphobe, répond : « Il n’avait qu’à pas coucher. » On ferait mieux de se souvenir des exhumations d’Yves Montand et Salvador Dali…

Ceci dit, je ne voudrais pas victimiser les hommes. Ne tombons pas dans le piège du féminisme délateur qui rêve de jouer la guerre des sexes au tribunal dans un duel de victimes. Pour ceux qui, comme moi, ont voulu la libération des femmes pendant des années, l’enjeu est de taille : empêcher le féminisme contemporain de devenir l’ennemi de la liberté.

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Novembre 2017 - #51

Article extrait du Magazine Causeur




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Avocat à la Cour de Paris, spécialisée dans la protection de l’enfance et le traitement de la délinquance sexuelle

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