DSK aurait-il fait un bon Président de la République ? Cette question relève désormais de la conjecture. David Desgouilles nous a brillamment décrit ce qui aurait pu se passer si Nafissatou Diallo n’était pas restée dans la chambre du Carlton de New York. Licence de l’écrivain qui a fait l’impasse sur un autre obstacle, volontaire celui-là, dressé sur la route de l’Élysée. Une mise en examen pour « proxénétisme aggravé » à quelques semaines du premier tour des présidentielles aurait donné à la campagne un tour très particulier. L’effondrement du dossier avec le jugement rendu la semaine dernière donne quand même prise à cette suspicion de coup monté.
Pour ma part, doté d’une certaine expérience en matière d’élection du Président, j’ai toujours pensé que cette « candidature » concoctée par de brillants communicants – à coup d’appuis médiatiques et de sondages bidons – aurait fini comme bien d’autres au cimetière des ambitions perdues.
De ses qualités présidentielles, on ne saura rien, mais il est en revanche doté d’une sacrée force de caractère. Voilà un homme promis aux plus hautes destinées, déjà riche et puissant, qui a brutalement dégringolé de la Roche Tarpéienne, victime de plusieurs lynchages planétaires. De ceux qu’on pratique désormais dans le village global. L’affaire de New York, la présentation menotté et défait aux caméras, le pénitencier américain, les audiences, l’assignation à résidence, les manifestations d’hostilité dans les rues et enfin la mise hors de cause. Ah non, mais ce n’est pas fini, le déballage du Carlton, les mises en examen pour des incriminations relevant de la grande truanderie, les auditions et les confrontations chez les juges d’instruction, l’épisode pénible du livre de Marcela Iacub, le divorce dans toutes les gazettes. Ensuite, l’audience du tribunal de Lille où pendant des semaines on va minutieusement et crûment décortiquer sa vie sexuelle. Les médias répercuteront avec gourmandise le détail de ses pratiques, manifestant force compassion hypocrite pour les prostituées victimes des excès du prédateur. Nouveaux lynchages en grand sur les réseaux et un beau sommet de tartuferie française. Entre-temps, le destin a continué à s’occuper de notre homme. Sévère plantage de son projet de banque d’affaires. Suicide de son associé et découverte d’un passif vertigineux, ce qui met à mal l’image du grand économiste qui lui restait. Il semble qu’il ait tout encaissé, en tout cas il est toujours debout. Je n’aurais jamais voté pour lui, mais je trouve que son attitude depuis quatre ans a une incontestable dimension héroïque[1. Sachant que je vais faire hurler… Quiconque n’est pas passé par là ne peut pas apprécier la violence que représente une mise en cause.].
Cela étant, sa mise hors de cause est surtout une bonne nouvelle pour le fonctionnement de la Justice française. Le tribunal de Lille n’a pas cédé à la pression et à la clameur. Il a refusé le réflexe corporatiste du sauvetage d’un dossier vermoulu. Le caractère artificiel des incriminations a été balayé : douze relaxes pour treize prévenus, excusez du peu. Et encore, le condamné l’est pour une infraction commerciale classique d’abus de biens sociaux. Exit les pratiques sexuelles dont le jugement rappelle qu’elles relèvent de la morale de chacun et que ce n’est pas à l’État de s’en occuper.
Nous venons d’assister ces dernières semaines dans des affaires sensibles, à une inflexion dans l’attitude des juges du fond. Faisant leur devoir, ils ont refusé de valider et de suivre des instructions à charge mais également de céder à la clameur et à la dictature de l’émotion. Zyed et Bouna, Outreau II, Woerth, Carlton, autant de signes positifs qui témoignent du retour d’un certain sang-froid. Car il faut dire que ce n’était pas toujours facile. Je sais que je radote, mais je continuerai à dire que lorsque l’on assigne à la Justice pénale des fins qui ne sont pas les siennes, cela ne peut s’accomplir qu’au détriment des libertés. Alors non, définitivement, le juge pénal n’est pas là pour « reconnaître le statut de victime », « permettre de commencer le deuil », empêcher Nicolas Sarkozy (ou Dominique Strauss-Kahn) d’être candidat aux présidentielles, lancer un débat sur la prostitution, ou faire plaisir à Osez le féminisme !. Il est là pour établir si des faits répréhensibles selon la loi ont été commis et, si c’est le cas, les punir. Point.
Les décisions que je viens de citer jettent une lumière crue sur les défauts du système de l’instruction à la française. Et posent à nouveau la question d’une vraie réforme, voire d’une suppression, de la procédure inquisitoire. Nicolas Sarkozy s’y était essayé, et s’est cassé les dents sur la violence des réactions corporatistes et politiques.
Il faut commencer par rappeler que dans notre société de médiatisation et de transparence, la sanction réside beaucoup plus dans la « mise en cause » que dans la peine éventuellement infligée par le juge du siège en fin de procédure. Par conséquent, ces instructions qui font l’objet de fuites manipulées ne sont qu’un long calvaire pulvérisant des réputations, stoppant les carrières et détruisant des familles.
Dans son principe, l’instruction pourrait présenter des avantages. En effet, les investigations et l’enquête se dérouleront sous l’autorité d’un juge du siège disposant de pouvoirs très étendus. Mais qui doit instruire à charge et à décharge. Ce qui est difficile, voire impossible. Sauf à être vraiment schizophrène, ce qui n’est pas souhaitable.
Ce défaut constitutif, a été considérablement aggravé par plusieurs facteurs. Tout d’abord, la fragilité de la culture de l’impartialité que l’on rencontre dans l’appareil judiciaire français. Comme l’a démontré la revendication de partialité de l’affaire du « mur des cons ». Ensuite, les rapports profondément malsains entretenus entre la presse et ces magistrats présentés comme des « justiciers » ou des « chevaliers blancs ». Statut qui leur donne une forme d’intouchabilité, permettant souvent de prendre de grandes libertés avec les règles du code de procédure pénale. Et leur permet souvent de bénéficier de la mansuétude des organes chargés de les contrôler, comme les chambres d’instruction dont ils dépendent, surnommées dans le milieu judiciaire « les chambres de confirmation ». Les affaires Outreau, Woerth, Carlton en sont de bons exemples. Comme l’affaire des écoutes téléphoniques de Nicolas Sarkozy ou même Libération finit par s’inquiéter des méthodes employées.
Mais il y a une contrepartie : les journalistes veulent bien les encenser, en échange de grain à moudre. Et c’est ainsi que le secret de l’instruction prévu par la loi, qui n’est pas à géométrie variable, est devenu un secret de polichinelle alors que son rôle est de protéger les droits de la défense. C’est assez grave, car il y a un autre secret de polichinelle dans le monde judiciaire : le lieu d’où proviennent souvent les fuites.
Un autre exemple datant de la semaine dernière, finalement riche en événements intéressants, vient jeter un éclairage particulier sur cette question. Madame Prevost-Déprez, magistrate qui fut en charge à Nanterre de l’affaire Bettencourt, est entrée en conflit avec le procureur Philippe Courroye présenté, à tort ou à raison, comme un proche de Nicolas Sarkozy. Elle comparaît devant un tribunal correctionnel, prévenue d’avoir violé le secret professionnel en organisant des fuites. Beaucoup de médias ont pris sa défense, non parce qu’elle n’aurait pas commis les faits, mais parce qu’elle luttait contre le sarkozysme judiciaire. Ce qui justifiait cette très grave violation de la loi par quelqu’un chargé d’en être le gardien ! Et malheureusement, ça peut marcher. Car au défaut du système ainsi décrit s’ajoute la faible culture juridique et judiciaire de l’opinion publique française, et d’une grande partie de ces journalistes qui savent tout mais n’y connaissent rien. Quelques numéros de portable bien choisis et vous voilà journaliste d’investigation sans avoir à quitter votre bureau. Heureusement, une tradition de grands chroniqueurs judiciaires perdure tout de même en France. Mais il faut attendre l’audience pour les voir critiquer ce qui doit l’être.
La suppression de la procédure inquisitoire et son remplacement par la procédure accusatoire permettrait-elle de rentrer dans la voie de l’apaisement et de mettre fin au cirque judiciaire ? Car il ne faut pas se tromper, cette situation est dangereuse. La confiance dans la justice n’est pas tellement différente de celle dont bénéficient les politiques et les journalistes. C’est-à-dire très faible.
Cela vaudrait la peine d’essayer.
*Photo : Michel Spingler/AP/SIPA/SPIN109/960728527875/1506121402
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