Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !
Mercredi 19 mai, ça y est. Ça y est tellement que France Musique, radio des hautes sphères, découvre sur sa page en ligne notre existence à nous les obscures : « Les premiers spectateurs arrivent, très enthousiastes, comme l’ont remarqué les ouvreuses, heureuses aussi de réinvestir les lieux. » Les lieux : pas Radio France en l’occurrence. La Philharmonie de Paris, réinaugurée mercredi par le poète pianiste Alexandre Tharaud.
La Philharmonie, ses programmes multicolores, sa mission de service public. Et aucun ministre dans la salle. Ce soir, le ministre des Finances a préféré entendre Schumann à Boulogne-Billancourt, sur l’île Séguin jadis usine Renault aujourd’hui Seine musicale gérée par le département, la banque et TF1. Quant à notre ministre de la Culture, elle était ce soir au théâtre des Champs-Élysées parce qu’on y donnait son truc favori, un gala de chanteurs.
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Pas de président de la République non plus à la Philharmonie, institution ouverte en 2015 par le président Hollande qui prophétisait : « Un jour, l’on dira que c’est la Philharmonie qui a fait le Grand Paris ! » Son successeur ne risque plus de nous hisser jusqu’à ces cimes.
C’est que, rayon musique, maestro Macron aura parcouru en un quinquennat plus de chemin que vous et moi en une vie. Dix ans de piano au conservatoire d’Amiens, une palanquée de musiciens reçus à Bercy, la IXe de Beethoven le soir de son élection, Mozart et Berlioz pour la passation de pouvoir : la première saison campait sur le Parnasse, au-dessus des nuages. Et puis tout d’un coup, le 21 décembre 2017, Jupiter a eu 40 ans. Le miroir sur le mur lui dit alors : tu es beau, tu es jeune, mais il y a dans le royaume beaucoup plus jeune que toi. Panique sur l’Olympe. Sylvain Fort, plume érudite du président et adorateur de Puccini, claque la porte. Pour la Fête de la musique 2018, Jupiter ouvre sa cour à cinq disc-jockeys dont le message n’outrepasse « mother fucker » que pour dénoncer les maux d’une jeunesse en courroux : « Les meufs et la beuh, t’assieds pas, salope, s’te plaît, t’as la rage que je me suis fait sucer la bite et lécher les boules » – à l’Élysée, si si. Et voilà que, ce 21 juin 21, la même fête se transforme en remise de Légion d’honneur au disco-bling-bling Cerrone, glouglous rétros de Jean-Michel Jarre et tendre câlin à Justin Bieber, le blond doudou des teenageuses. En 2017, art voulait dire au-delà, éternité. En 2021, art veut dire dollar et acné juvénile. Jupiter bizness, ton univers impitoyable. Et y’en a qui disent qu’il n’a rien appris !
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Post-scriptum à propos de miroir sur le mur. Au printemps, toute la presse internationale, Causeur compris, relatait l’affaire Blanche-Neige. Version courte : les héritiers de Walt Disney voudraient effacer du dessin animé le bisou final déposé depuis 1937 par un prince debout sur une fille couchée – atrocement « non consenti ». Effacisme trois fois inappropriate à mon avis. 1) Ce n’est pas un bisou d’amour, c’est un bisou d’adieu puisque la belle gît dans son cercueil et que le prince la croit morte. 2) Le bisou, Blanche-Neige l’attend depuis le début (« Un jour, mon prince viendra… ») et c’est elle qui, dès leur première rencontre, suçotait les lèvres du garçon par le truchement d’une colombe. 3) Il y a dans le film un bisou non consenti : celui que la personne de petite taille Grincheux reçoit de l’impudique Blanche-Neige, qui ne lui demande pas son avis. Plein de sollicitude, le parti effaciste n’est pas méchant. Seulement sourd et aveugle. Le pauvre. Comme il doit souffrir.