Voile et mini-jupe: un peu de pudeur Esther Benbassa!


Voile et mini-jupe: un peu de pudeur Esther Benbassa!
Un défilé de mode à Londres en 1997 (Photo : SIPA.00313427_000001)
Un défilé de mode à Londres en 1997 (Photo : SIPA.00313427_000001)

La mini-jupe et le voile islamique, deux faces opposées de la même aliénation des femmes : alors que la loi scélérate de pénalisation des clients de prostituées vient d’être adoptée, les amateurs de « convergence des luttes » vont adorer la dernière trouvaille d’Esther Benbassa. La bonne blague, se dit-on d’abord par réflexe laïque. D’abord, je n’ai pas de voile dans ma garde-robe. Et puis, j’aimerais que personne ne décide à ma place par qui et comment je me fais aliéner. Entre nous, qu’on me dise quel serait l’intérêt des jeux érotiques et amoureux s’ils ne comportaient une dose, variable et tournante, d’aliénation. Au fond, une société se définit peut-être par les formes d’aliénations qu’elle admet. Il me semble que la nôtre a forgé au cours des siècles un goût pour la séduction qui devrait lui faire préférer la mini-jupe au voile. Chez nous, la coquetterie a pour habitude de narguer les canons religieux, pas de s’y conformer. En France, mode islamique est un oxymore.

Bref, tant qu’à être aliénée, je préfère l’être en me dévoilant qu’en me voilant. Cependant, notre estimable sénatrice écolo parisienne n’a pas tort sur toute la ligne. Le voile et la mini-jupe ont bien quelque chose à voir l’un avec l’autre. D’abord, comme toute fanfreluche, ils parlent de ce que nous voulons être. Mais en outre ces deux fanfreluches-là ont en commun de parler de la sélection des partenaires sexuels. Le voile dit « non-musulman, pas touche ! » tandis que la mini-jupe signifie que tout homme peut fantasmer qu’il a sa chance, pour peu qu’il sache causer aux dames. Attention, cela ne signifie pas que toute femme en mini-jupe soit en quête d’un homme réel. On peut être équipée en mari et/ou amants et aimer susciter le trouble fugace d’inconnus qu’on aurait pu aimer et dont on ignorera toujours le prénom. La mini-jupe parle d’échange informulé, de désir inassouvi, le voile culpabilise le désir.

Le voile, cet uniforme

De ce fait, la mini-jupe fait partie de toute une palette que la coquette fait varier avec ses humeurs, selon qu’elle a ou non envie d’être convoitée. Un jour, elle préfèrera le jean, un autre le tailleur convenable, un autre encore le cuir façon Cruella ou, pourquoi pas, une tenue passe-murailles. Dans mon échantillon personnel et distingué de mini-jupistes, aucune ne pratique quotidiennement. En revanche, on ne se voile pas en fonction de son humeur du moment. Le voile est, au sens littéral du terme, un uniforme. Et il définit, pour les femmes qui le portent, une catégorie d’hommes interdits. L’endogamie est certes un droit – et elle n’est pas l’apanage des musulmans. Avec le voile, elle est érigée en norme sociale. C’est légal, mais déprimant.

Mais le plus important, c’est que la mini-jupe, in fine, dit que c’est la femme qui choisit. Si nous pouvons dévoiler des parcelles judicieusement choisies de notre peau, c’est parce que nous savons qu’aucun homme ne prendra cela pour une autorisation. En conséquence, si nulle ne doit être obligée de porter des mini-jupes, toute femme doit avoir le droit de le faire. C’est qu’en Occident, chère Esther Benbassa, porter une mini-jupe ne signifie pas qu’on est « disponible » pour reprendre le terme des sociologues dénégateurs à propos des Allemandes agressées à Cologne, mais qu’on aime les jeux de la séduction. Si aucune institution, aucun code moral, aucune domination patriarcale n’a jamais cherché à interdire aux femmes de se cacher dans des vêtements informes, alors qu’on a souvent voulu les assigner à la pudeur, c’est bien parce qu’il y a dans la séduction des femmes un potentiel hautement explosif pour les hommes. Dans nos sociétés libérales et civilisées, nous savons domestiquer ce potentiel et nous réservons ses tumultes et la plupart des ses bienfaits à la sphère privée. Les hommes ont appris à vivre avec – et souvent sous – le charme des femmes. Et ceux qui ne l’ont pas appris sont punis par la loi et montrés du doigt.

Nous, les gourdes…

Mais voilà, quand elle entend le mot chiffons, Esther Benbassa sort son révolver. Tout ça, c’est rien que des sornettes de gourde soumise à la volonté des hommes : « Nous sommes, nous, femmes, soumises à un diktat, entré profondément dans notre imaginaire, et auquel nous obéissons, le plus souvent inconsciemment, pour plaire aux hommes. Le modèle de séduction imposé reste quasi inaccessible à la majorité d’entre nous. Un modèle d’extrême minceur, plutôt blond, grand, « glamour », contribuant à un « enfermement du corps des femmes » qui n’a rien à envier à celui que Mme Rossignol dénonce quand elle évoque certaines musulmanes. » En somme, on est tellement sottes, nous les filles, qu’on fait tout ce qui est écrit dans les journaux. Qu’elle permette à une petite brune à l’accent parigot – pas franchement blonde-grande-glamour et pour l’extrême minceur… j’y suis presque ! – de lui rappeler que l’avantage de ce diktat-là, c’est qu’on peut s’en affranchir et jouer avec les styles, les époques, les chichis et les frou-frous. S’il y a des femmes qu’on oblige à se voiler, les victimes de la mode sont toujours consentantes.

Paradoxalement, alors que notre aimable sénatrice combat le « féminisme de grand-mère » de la ministre de la famille Laurence Rossignol, sur la prostitution, elles se battent à fronts renversés. En effet, si Rossignol a défendu la loi, Benbassa y est opposée. Le rapport entre la condamnation de la prostitution et celle de la mini-jupe peut sembler ténu, il est essentiel. Dans les deux cas, il s’agit d’ériger une norme en matière de désir, autrement dit de se mêler des fesses des adultes consentants. Dans les deux cas, une forme de puritanisme prétend sacraliser le corps des femmes. Ces interventions dans notre existence intime sont autrement plus attentatoires à nos libertés que quelques regards baladeurs.

Néanmoins, pour être agréable à Esther Benbassa, j’ai une proposition. Cette année, les filles, on oublie le voile et la mini-jupe. Toutes en short !

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Et vous, qu’en pensez-vous ?

 

 



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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