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Jung relu et corrigé par Françoise Bonardel


Jung relu et corrigé par Françoise Bonardel
Françoise Bonardel. Photo : Photo Rita Scaglia.

Avec ce Jung et la Gnose (Editions Pierre-Guillaume de Roux, 2018), Françoise Bonardel s’attaque à deux moments sulfureux de la pensée et de la spiritualité, en une époque où l’accélération, cette « expérience majeure de la modernité » décrite par le philosophe allemand Hartmut Rosa, paraît tout blackbouler sur son passage. En particulier ce qui fait de l’homme un humain : l’acceptation d’être présent – à soi-même comme à son propre présent. Déconnecté des réseaux, en somme.

La présence comme mode d’être est au cœur des travaux de Bonardel comme de ceux de Jung. Des gnostiques du début de notre ère aussi. La philosophe vit, expérimente et pense face à cette « accélération », comme le firent Jung et les gnostiques : c’est une « expérience intérieure », telle que décrite par Michel Cazenave, écrivain, poète, directeur de la traduction des Œuvres complètes de Jung chez Albin Michel.

Sacré, religions, arts et culture

Au centre de l’important essai de Bonardel, se trouve justement l’expérience intérieure relatée par Jung dans son Livre Rouge édité en 2009 (Editions de L’Iconoclaste) et traduit en France en 2012. Un livre majeur. Françoise Bonardel fait partie de ces rares penseurs français contemporains vivants qui exercent une influence souterraine et durable sur nombre de leurs pairs. Par son œuvre, mais aussi comme professeur de la Sorbonne ayant marqué ses étudiants. De même, l’orientation dans la pensée de nombre de poètes et d’écrivains a pu être transmuée après la lecture de ses ouvrages, ainsi sa Philosophie de l’alchimie. Grand Œuvre et modernité (Presses Universitaires de France, 1993), livre par lequel Bonardel montrait la présence réelle et la fécondité de l’alchimie, loin des parodies et stupidités contemporaines du New Age et de ses avatars sectaires. De Daumal à Artaud, en passant par Sollers, l’alchimie et sa symbolique ont nourri des chantiers, travaillé à des édifices poétiques, érigé des œuvres face à ce que la philosophe appelle « le désarroi planétaire ». Les réflexions de la philosophe à ce propos ont été prolongées par Des héritiers sans passé. Essai sur la crise de l’identité culturelle européenne (La Transparence, 2010). Des recherches centrées sur les relations entre sacré, religions, arts et culture qui portent sur le réel profond de l’humain, dès qu’il se recentre sur « l’essentiel » pour reprendre le mot de Jean Biès, dont le Retour à l’essentiel (2004) hante son lecteur. Étudiant les relations supposées entre Jung, la psychologie analytique et les gnoses, Bonardel retourne ainsi à l’essentiel.

Jung ferait l’objet de cabales sur la Toile

Jung fut accusé par le théologien Martin Buber d’être un « gnostique », « hérétique » donc. De quoi délégitimer une œuvre à l’époque, un peu comme le mot « réactionnaire » est destiné à tuer aujourd’hui. Maintenant, Jung ferait l’objet de cabales sur la Toile.

La question n’est pas tant de savoir si Jung a été ou non « gnostique » mais de saisir ce qui, dans la Gnose, a pu influencer la mise en œuvre de la psychologie analytique.

Jung, la Gnose… dans un pays où la figure de Freud, auquel Jung s’est affrontée, confine au paternalisme et ou le simple mot « religion » peut entraîner des bagarres lors de repas de famille. Il y a en France une sorte d’hystérie à l’encontre de tous les chemins de vie fondés sur une conception sacrale du monde, religieuse ou non. L’islam mis à part. C’est pourquoi ce Jung et la Gnose est plus qu’une étude des rapports de la Gnose et des gnostiques aux travaux de Jung, médecin de l’âme et homme pétri de culture ; c’est un ouvrage sur notre monde, les ruines dressées devant nous, et un ensemble de pistes humanistes, au sens Renaissant de ce terme. Bonardel, comme Jung, travaille à reconstruire le temple de l’homme. Qui a lu sa Philosophie de l’alchimie retrouvera le bouleversement qui l’avait alors saisi – et sans doute la nécessité de ne rien céder, tout en lâchant prise, équilibre difficile le long du mince fil de Janus.

A la découverte d’un continent

Qui entrera dans son œuvre par ce livre découvrira un continent. Jung s’est intéressé à la Gnose dès 1910, trente-cinq ans avant la découverte de la bibliothèque de manuscrits de Nag Hammadi, près de Louxor, ayant intuition que les mystères et symboles de l’étonnante littérature gnostique n’étaient pas étrangers à ce qu’il commençait à entrevoir et qui deviendrait plus tard son apport à la pensée : la psychologie analytique des profondeurs. D’une certaine façon, les gnostiques expérimentaient les images intérieures qui sont à ses yeux le commun archétypal de l’humanité. C’est de confrontation complémentaire des opposés et des contradictoires, « dualisme » dans le vocabulaire gnostique, mais le mot est malheureux, de révélation intérieure et d’expérience salvatrice dont il s’agit dans l’expérience intérieure des gnoses antiques. Autant d’éléments qui préoccupaient alors Jung et qui allaient, avec l’alchimie, devenir déterminants dans la naissance de la psychologie jungienne, et donc de son éloignement d’avec les conceptions de papa Freud. Pour Jung, la connaissance, qui n’est pas le savoir érudit, est une réponse à la désorientation de l’homme, comme elle le fut aux yeux des gnostiques. C’est l’homme s’individuant, partant en quête de soi ou de son âme, selon la conception que l’on se fait de la recherche intérieure, qui apparaît alors comme étant la clé d’une remise à l’ordre de l’humain, dans sa relation chaotique à l’ensemble de la vie.

L’expérience intérieure, réponse au désarroi contemporain

Cela se joue d’être à être, par transmission, et non par ces systèmes idéologiques dont le XXe siècle a montré le mortifère. L’expérience intérieure de Jung est une réponse initiatique au désarroi contemporain : « La joie des choses infimes ne te vient que lorsque tu as accepté la mort. Mais lorsque tu regardes avec avidité vers tout ce que tu pourrais encore vivre, alors rien n’est assez grand pour ton plaisir, et les choses infimes qui ne cessent de t’entourer ne sont plus sources de joie pour toi. Voilà pourquoi j’observe la mort, car elle m’apprend à vivre » (Le Livre Rouge). Jung et la Gnose, un sujet pointu seulement en apparence, tant Françoise Bonardel a le don de donner clarté à des choses semblant de prime abord difficiles d’accès. Ce livre n’a aucunement vocation à être un livre universitaire, même s’il apprendra bien des choses à la faculté : c’est un ouvrage pour nous, ici et maintenant.

Françoise Bonardel, Jung et la Gnose, Pierre-Guillaume de Roux éditeur, 2017.

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Matthieu Baumier est l'auteur d’essais (<em>L’anti traité d’athéologie,</em> Presses de la Renaissance, 2005 ; <em>La démocratie totalitaire. Penser la modernité post-démocratique,</em> Presses de la Renaissance, 2007 ; <em>Vincent de Paul,</em> Pygmalion-Flammarion, 2008) et de romans (<em>Les apôtres du néant,</em> Flammarion, 2002 ; <em>Le Manuscrit Louise B,</em> Les Belles Lettres, 2005). Il collabore à <em>La Revue des Deux Mondes.</em>

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