Almodovar enfin adulte?


Almodovar enfin adulte?
(Photo : El Deseo - Manolo Pavón)
(Photo : El Deseo - Manolo Pavón)

Après le très décevant Les Amants passagers, Almodovar revient sur le terrain où il se trouve le plus à l’aise : le mélodrame porté par des figures féminines fortes. Le film s’ouvre sur le rouge vif du peignoir de l’héroïne Julieta et témoigne une fois de plus du goût du cinéaste pour les coloris chatoyants et symboliques (le rouge de la passion, de la mort…). Pourtant, le film frappe d’emblée par une certaine sobriété. Contrairement à ses sublimes et flamboyants mélodrames (Talons aiguilles, Tout sur ma mère, Parle avec elle…), Julieta se révèle beaucoup plus retenu. S’il aborde une fois de plus des thèmes et des motifs qui lui sont familiers, en particulier les liens privilégiés et compliqués entre une mère et sa fille, il les traite de manière beaucoup plus épurée.

D’une certaine manière, Almodovar a basculé du côté des adultes alors qu’il épousait autrefois le point de vue des enfants. Tandis qu’elle s’apprêtait à quitter Madrid pour une nouvelle vie, Julieta fait une rencontre fortuite qui lui donne envie de rester sur place et de se remémorer son existence depuis sa rencontre avec le père de sa fille dans un train jusqu’à la disparition de celle-ci.

Comme d’habitude, le cinéaste témoigne de sa grande habileté pour agencer les mailles d’un récit romanesque à souhait en recourant à la voix-off, aux mots que l’on couche sur du papier comme chez Truffaut, aux flashbacks. D’un point de vue scénaristique, Julieta est plutôt chargé : suicide, maladie, mort accidentelle, rencontres fortuites, disparition… Mais le génie du cinéaste a toujours été de parvenir à donner une épaisseur émotionnelle et humaine à des structures narratives presque trop mécaniques.

Une des clés de Julieta réside peut-être dans la magnifique séquence de la première rencontre dans un train où plane l’ombre de Douglas Sirk avec ce cerf qui scelle le destin des amants comme à la fin de Tout ce que le ciel permet. Julieta, jeune professeur de philologie, est abordée dans son compartiment par un vieil homme qui désire lui parler. Gênée par son insistance, la jeune femme s’enfuit vers le wagon-restaurant où elle rencontrera le beau Xoan. Mais peu après, le train s’arrête et le couple apprend que le vieil homme s’est suicidé.

Même si l’indifférence de Julieta pour ce type bizarre n’a sans doute pas influencé sa décision d’en finir avec la vie, la jeune femme voit naître en elle une certaine culpabilité. Et c’est cette culpabilité qui va devenir l’un des motifs récurrents du film, un sentiment que l’héroïne connaîtra à diverses occasions (nous essaierons d’en dire le moins possible) et qu’elle va surtout transmettre en héritage à sa fille.

La beauté du film tient à cette manière qu’a Almodovar de filmer l’indicible, les non-dits entre les êtres les plus proches. Alors que Julieta et sa fille sont restées toujours très proches, cette dernière disparaît sans donner signe de vie et sans la moindre explication. Parce qu’il y a toujours quelque chose dans les relations humaines qui échappe aux mots et qui finit par creuser des fossés infranchissables. Le cinéaste parvient à saisir avec beaucoup d’émotion cet écart qui se creuse entre les êtres alors qu’il ne repose sur rien de tangible ou de psychologique : juste un sentiment que les choses auraient pu être autrement si on avait prononcé un mot à un moment précis, si on avait agi d’une manière différente… La mise en scène du cinéaste parvient à rendre avec une grande délicatesse ce feuilleté d’émotions intraduisibles avec des mots.

Suite à plusieurs événements, Julieta va développer un sentiment de culpabilité, notamment vis-à-vis de sa mère qui se meurt tandis que son père tente de reconstruire son existence. Et ce sentiment, elle l’inocule bien inconsciemment à sa fille qui, adolescente, va agir comme une véritable mère avant de s’enfuir.

Tandis que ses films précédents étaient construits sur une certaine rancœur des enfants envers leurs parents, Julieta vise au contraire à un véritable apaisement et incite à comprendre les raisons de l’autre. Chez Almodovar, il n’y a pas de « coupables » ou d’ « innocents » mais des êtres humains qui peuvent faire des erreurs, se tromper mais sans pour autant penser à mal.

Et ce qui touche chez lui, c’est qu’il parvient à donner une très belle épaisseur à ces trajectoires humaines en jouant pourtant sur des sensations et des émotions très ténues. Cette « épaisseur », c’est celle qui nous dit que rien ne peut se réduire à un seul lien de cause à effet : l’homme qui se suicide dans le train pouvait avoir mille autres raisons que la volte-face de Julieta pour le faire, pour reprendre notre exemple. Il s’agit donc à la fois de ne pas condamner a priori les gestes d’autrui (le père qui se met en couple alors que sa femme est en train de mourir à petit feu) et de ne pas se laisser gagner par la culpabilité de n’avoir pas fait le bon geste, dit le bon mot au bon moment.

A sa manière, Almodovar renoue avec l’idée de Renoir que « chacun a ses raisons » et son finale apaisé, ouvert et magnifique invite à toutes les réconciliations…

Julieta, de Pedro Almodovar avec Emma Suarez, Adriana Ugarte, Rossy de Palma. En salles.



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est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

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