La littérature française actuelle se repaît des petits bobos de la vie, des accidents des uns et des maladies des autres lorsqu’elle n’est pas donneuse de leçons… Dans ce paysage navrant, 30 pages, humbles et percutantes, viennent stimuler le lecteur exigeant: La Maison, un inédit de Julien Gracq.
En ce début de printemps, les éditions José Corti publient un court récit inédit de Julien Gracq (1910-2007), La Maison. Cette trentaine de pages, probablement rédigées entre 1946 et 1950 et accompagnées des deux manuscrits de l’auteur, feront le bonheur des amoureux d’un style reconnaissable entre tous : la plénitude d’une écriture descriptive capable de donner à une action toujours ténue le charme décisif de l’événement, et de combler l’attente par une abondance de détails envoûtants susceptibles de changer l’ordonnance du monde. Julien Gracq se définissait lui-même comme un écrivain descriptif presbyte, contrairement à ceux qu’il appelait les descriptifs myopes, son goût pour les lointains plutôt que pour les choses toutes proches lui venant peut-être de son enfance au bord de la Loire, avec ses eaux sauvages qui portaient loin la lumière et les bruits. C’est à cette presbytie descriptive que nous invite La Maison – récit, à la première personne, de la fascination exercée par une demeure d’abord aperçue au loin lors d’un trajet quotidien en autocar. Ceux à qui Julien Gracq, notamment avec Le Rivage des Syrtes (1951), rappelle d’ennuyeux moments de lecture, ne seront pas déçus par ce livre au format atypique et à la couverture printanière. Peut-être cet ouvrage, resté si longtemps silencieux à l’abri de l’érosion que les lectures successives font généralement subir aux textes, à l’abri aussi des changements de notre regard porté sur le monde, leur donnera-t-il le plaisir de renouer avec ce qui, aujourd’hui, relève vraiment de l’inédit : une première personne du singulier qui ne soit pas la voix nue de l’auteur, mais la voix d’un narrateur nous invitant toujours à le suivre lorsqu’il dit « je »
