Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. La preuve par Jules Verne, plus que jamais dans l’air du temps.
Le Figaro du 12 mars annonce que la pollution de l’air fait 790 000 morts par an en Europe dont 67 000 en France, estimation « plus pessimiste que jamais ». Bien entendu, la mortalité liée à la pollution de l’air n’est pas neuve. Rome connaissait le phénomène, lié pour l’essentiel au chauffage à bois. Comme l’écrivait Sénèque, dans ses Lettres à Lucilius : « Dès que j’aurai laissé derrière moi l’oppressant air de la ville et la puanteur des fumantes cheminées qui, une fois leurs feux allumés, vomissent toutes les pestilentes fumées et suies qu’elles contiennent, je me sentirai tout à fait un autre homme. »
Vingt mille lieues sous les airs
La notion même de « pic de pollution », dont Le Figaro nous dit que chacun d’entre eux correspond à « une hausse des admissions à l’hôpital pour cause cardiovasculaire », a des précédents comme le grand smog de Londres, qui dura quatre jours en décembre 1952. Un « simple événement météorologique » pour Churchill, mais qui fit… 12 000 morts. Ce que Le Figaro qualifie lui aujourd’hui de « sombre tableau », Jules Verne, que l’on prend trop souvent pour un technolâtre prométhéen, en avait tracé les contours dans Les Cinq Cents Millions de la Begum : il imagine deux villes nouvelles aux États-Unis, l’une construite par des Allemands, et résumée à une sombre aciérie productiviste, et l’autre par des Français, France-Ville.
« Nettoyer, nettoyer sans cesse… »
Au-delà de l’éternelle rivalité franco-allemande, Jules Verne montre qu’on meurt comme des mouches côté allemand à cause de la pollution : « Au pied de la muraille humide, gisait, immobile et déjà froid, le pauvre petit Carl. Ses lèvres bleues, sa face injectée, son pouls muet, disaient, avec son attitude, ce qui s’était passé. Il avait voulu ramasser quelque chose à terre, il s’était baissé et avait été littéralement noyé dans le gaz acide carbonique. » En revanche, du côté de France-Ville, c’est le développement durable qui est à l’ordre du jour, appuyé sur un souci constant de la santé publique : « Nettoyer, nettoyer sans cesse, détruire et annuler aussitôt qu’ils sont formés les miasmes qui émanent constamment d’une agglomération humaine, telle est l’œuvre principale du gouvernement central. […] Chaque citoyen reçoit à son arrivée une petite brochure. […] Il y voit que les neuf dixièmes des maladies sont dues à la contagion transmise par l’air ou les aliments. »
Le volontarisme de Verne se retrouve d’ailleurs dans les conclusions de l’étude citée par Le Figaro : « L’amélioration de la qualité de l’air en Europe est pour la santé publique à la fois très efficace et atteignable. » Pour cela, on ne saurait trop recommander aux gouvernants de lire Les Cinq Cents Millions de la Bégum…