Le poème du dimanche
Jules Laforgue est un précurseur au moins à deux titres. D’abord, on voit souvent en ce jeune homme l’inventeur du vers libre. Ensuite, en mourant à vingt-sept ans en 1887, il est le premier du triste club des artistes morts à cet âge : Jimi Hendrix, Janis Joplin, Kurt Cobain ou Amy Winehouse pour ne citer qu’eux. Et il y a incontestablement quelque chose de bluesy chez Laforgue, une manière de spleen travaillé comme une improvisation de saxophone.
Blocus sentimental ! Messageries du Levant !…
Oh, tombée de la pluie ! Oh ! tombée de la nuit,
Oh ! le vent !…
La Toussaint, la Noël et la Nouvelle Année,
Oh, dans les bruines, toutes mes cheminées !…
D’usines…
On ne peut plus s’asseoir, tous les bancs sont mouillés ;
Crois-moi, c’est bien fini jusqu’à l’année prochaine, Tant les bancs sont mouillés, tant les bois sont rouillés,
Et tant les cors ont fait ton ton, ont fait ton taine !…
Ah, nuées accourues des côtes de la Manche,
Vous nous avez gâté notre dernier dimanche.
Il bruine ;
Dans la forêt mouillée, les toiles d’araignées
Ploient sous les gouttes d’eau, et c’est leur ruine.
Soleils plénipotentiaires des travaux en blonds Pactoles
Des spectacles agricoles,
Où êtes-vous ensevelis ?
Ce soir un soleil fichu gît au haut du coteau
Gît sur le flanc, dans les genêts, sur son manteau,
Un soleil blanc comme un crachat d’estaminet
Sur une litière de jaunes genêts
De jaunes genêts d’automne.
Et les cors lui sonnent !
Qu’il revienne….
Qu’il revienne à lui !
Taïaut ! Taïaut ! et hallali !
Ô triste antienne, as-tu fini !…
Et font les fous !…
Et il gît là, comme une glande arrachée dans un cou,
Et il frissonne, sans personne !…
(Extrait de « L’hiver qui vient » dans Derniers vers.)
Les Derniers vers de Jules Laforgue : des Fleurs de bonne volonté, le Concile féerique
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